[Terminé][Spécial Halloween] Le temps d'avancer

Le temps d'avancer

La vie à Dinotopia suit son cours comme une rivière sans fin qui s’est scindée à partir du fleuve de ma vie dans le monde extérieur. Ce n’est qu’un nouveau chapitre de ma vie qui s’ouvre, mais je n’arrive pas à totalement me détacher de ma vie passée. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais la perte d’Abigail reste vive dans mon cœur et passer à autre chose s’avère finalement plus difficile que je ne l’aurais cru. Ma spiritualité me permet de faire face et j’ai cru que j’y étais arrivé avant, mais ce n’était pas le cas. Je vis le contre-coup de sa perte plusieurs mois après, comme un endeuillé qui a été dans le déni pendant tout ce temps.  

Alors que j’arpente les rues de Chandara pour la première fois, à la nuit tombée, je suis pris d’une profonde mélancolie que la beauté de cette cité impériale n’arrive pas à me faire oublier. Tout est très différent de Waterfall City ici, mais c’est une cité qui appartient au désert et à la vie telle que la même Sany. Je préfère pour ma part la présence de l’eau ou de la mer, mais le cadre n’en demeure pas moins magnifique.  
Abigail me manque énormément. Quand je marche dans ces rues incroyables, j’ai l’impression de me revoir plus jeune dans les rues et avenue de la cité universitaire où j’ai fait mes études. C’est là que j’ai rencontré Aby, pendant cette période d’insouciance studieuse. C’était à un Starbuck, je venais pour prendre mon grand café du matin avant les cours et j’ai pris le sien en pensant que c’était le mien. Elle m’a signalé que si je ne savais pas lire il ne fallait pas que je m’embarrasse d’un livre aussi complexe que “Les théories Béhavioriste du comportement animal chez les crocodilidae” qui dépassait de mon sac. J’ai regardé comme un ahuri le gobelet qui portait son prénom avant de m’excuser et j’ai percuté un truc. En regardant la carte d’emprunt de la bibliothèque j’ai compris qu’elle l’avait emprunté avant moi. Nous avons sympathisé autour de ce café et nous nous sommes revus ensuite.

Abigail est devenue la véritable lumière de ma vie, mon phare m’indiquant toujours où je devais revenir à la suite de mes longues aventures. Ce n’est pas une sinécure comme vie à endurer que celle d’aventurier, d’explorateur et zoologiste de terrain, mais ça l’est encore moins d’être le compagnon ou la compagne d’une telle personne. Pourtant, Abigail n’a jamais été attristée par sa vie, par notre vie. Au contraire même, elle était aussi aventureuse que je peux l’être et nous avons à de nombreuses reprises été mener à bien des expéditions à deux.  

Passant devant le funérarium de la ville, un bâtiment incroyable où reposent les urnes des défunts de l’île, je me dis que c'est un lieu très spirituel et qui serait peut-être prompt à me dispenser d'une certaine sérénité. Toutefois, j’ai à peine le temps de franchir les portes de l’endroit que je suis chancelant, mes jambes m’abandonnent et je tombe à la renverse. Elle est là, devant moi, ses cheveux comme des flammes, son teint de pêche, ses yeux magnifiques qui me regardent avec une infinie tendresse comme avant.

Kai ▬ Abigail ? Tu es vivante ?!

Je me jette sur elle pour la prendre dans mes bras, mais je me retrouve une nouvelle fois au sol en trébuchant alors que je la traverse totalement. Je ne comprends pas sur le moment et je mets bien quelques secondes à me rendre compte de la réalité des choses. Mon amour est bien disparu dans le fond des eaux sombres bordant cette île.  

Mon esprit de scientifique me dit que ce n’est pas possible qu’elle se trouve devant moi ainsi à me regarder et me sourire. Les fantômes n'existent pas ! C’est un fait. Pourtant, il y a encore un an, on m’aurait dit qu’il existe une île avec des dinosaures et des pierres magiques qui repoussent les carnivores, que les autres sont dotés de la capacité de parler... j’aurais dit que c’était impossible au même titre que les fantômes. C'est mon côté spirituel qui prend alors le relai et c’est peut-être une manifestation des esprits... Je ne peux pas m’empêcher de porter ma main droite sur mon avant-bras gauche avec ces tatouages qui évoquent l’Océan et mes ancêtres arrivés sur l'île où je suis né.

Abigail ▬ Bah alors gros bêta ! Tu vas juste me regarder avec ces yeux là ?  

C’est là que je percute à nouveau la situation et que je suis devant ma femme. C’est incroyable, mais je ne veux même pas essayer de comprendre si ce que je vois est vrai, un bienfait des esprits de la nature ou de l’Océan en personne. Tout ce qui compte c’est qu’elle est là, devant moi.

Kai ▬ Je suis tellement heureux de te voir Aby ! C’est incroyable. Mais comment ?  
Abigail ▬ C'est important de savoir comment ? Il n‘y a pas autre chose que tu veux savoir plutôt ? Je sais que tu n'es pas bien Kai, ça ne va pas.  
Kai ▬ Je... je suis désolé Aby... je n’ai pas réussi à te sortir de l’avion avant que tu ne sois emportée dans le fond... tu es morte à cause de moi...  
Abigail ▬ N’importe quoi ! Non mais dis donc ! Depuis quand tu penses ça toi ?! Tu ne pouvais rien faire ! Souviens-toi Kai, ce qu’il s’est passé vraiment. Tu n’as vu que mes yeux, que mon visage tendant la main vers toi quand je plongeais, mais c’était pour te dire au revoir, pas pour demander de l’aide. J’étais condamnée...

C’est là que je visualise à nouveau la scène dans le détail. Je commence à me réveiller doucement à cause du choc à la tête et il y a de l’eau partout. J’ai le temps d’attraper le respirateur qui flotte dans l’eau pour prendre une inspiration et je vois le bout de l’appareil qui sombre. Mais un détail m’avait échappé, ou alors je l’ai occulté... elle avait un éclat de métal dans le ventre et perdait du sang. Même si je l'avais sorti de là, elle n’aurait pas survécu à sa blessure.  

Je la regarde à nouveau droit dans les yeux, les miens humides des larmes qui montent et coulent ensuite sur mes joues.

Kai ▬ Je croyais que j’aurais pu te sauver, mais c’était trop tard. Mais j’aurais voulu pouvoir te sauver Aby...  
Abigail ▬ Evidemment que je sais que tu voulais me sauver gros bêta. Moi aussi j'aurais bien voulu que ce soit possible, mais on sait toi comme moi qu’on ne contrôle rien dans ce monde. On suit notre route, on fait le voyage, et parfois il se passe quelque chose qui nous oblige à l’arrêt. C'est comme ça... Tu me racontais toujours comment les esprits de nos ancêtres et de la nature nous accompagnent le long de notre chemin et nous aident, mais aussi nous accueillent parmi eux lorsque le moment est venu. C’est pareil pour moi Kai.    
Kai ▬ C'est dur sans toi Aby. Je ne sais pas si je vais y arriver. Au début je le croyais, mais je n’en suis plus si sûr. Ton amour me manque...  
Abigail ▬ Hey... Kay ! Tu ne peux pas avoir tout oublié si vite ! Mon amour n’a pas disparu Kai. Tu as l’illusion de la séparation, mais cet amour que tu me portes, il est toujours là et il va renaître sous une nouvelle forme, dans un nouvel amour. Il faut que tu restes qui tu es Kai, qui j'ai connu, qui j'ai aimé et que tu continues ton chemin.

C’est tellement dur à ce moment de ne pas pouvoir la serrer dans mes bras alors qu’elle me dit tout ça. Je m’avance vers elle pour l’éteindre, passant mes bras de part et d’autre sans la serrer pour ne pas passer à travers et elle en fait de même avec moi. Un bref instant, je ressens presque son contact, sa chaleur, sa présence, alors que mon cerveau utilise sans aucun doute des souvenirs de tout ça pour me donner un peu de réconfort dans ma détresse. Jamais plus je ne pourrai la serrer dans mes bras, mais ça ne veut pas dire que jamais plus je ne pourrai faire de même avec quelqu'un d'autre.  

Abigail a raison et j’avais besoin d’entendre de sa bouche. Alors que j’allais lui répondre, je constate que je suis seul dans ce funérarium. Elle n’est plus là, comme si elle n’avait jamais été présente. Pourtant je me sens bien plus léger qu’en entrant, prêt enfin à passer à autre chose pour ne bon, sans que ce ne soient que des mots. J’ai fini de me morfondre, fini d’essayer de m’autoconvaincre.

Il est temps d’avancer.