[Terminé] Qui va là ? (Charlotte)

Enfin. Le château des Outsiders se dressait devant elle, solide et impitoyable, tandis que la porte semblait grimacer pour lui. Etait-ce bien des gardes, en haut des remparts? La tenait-on en joue? Charlotte préférait ne pas laisser la chance à toutes ces questions de la perturber. Elle se contentait de fixer l'entrée, muette, persuadée qu'on finirait bien par s'intéresser à elle. Alors elle attendait, droite comme un I, une main englobant sa chaîne et l'autre fermement agrippée à la hanse de son sac en bandoulière rendu boueux et tâché de vert. Charlie faisait peine à voir... elle portait sur elle les stigmates de la périlleuse traversée des marais pluvieux, mais malgré tout, un espoir sans faille faisait puissamment briller ses yeux. Elle ne sentait pas encore la douleur dans ses jambes, ses pieds. La fatigue n'avait pas encore eu raison d'elle. Non, tout ça lui importait peu pour l'instant. Elle allait enfin avoir la réponde à sa question.

Comme si ses vœux avaient été exaucés, la porte s'entrouvrit dans un bruit caractéristique et juste assez pour laisser passer un homme. Face à face, ils se dévisagèrent un instant. L'homme n'avait rien d'un monstre. Certes, son look était particulier et n'avait pas grand chose à voir avec celui de Corben ou de Karl, mais ça ne le rendait pas effrayant pour autant.Et même... quelque chose dans ses traits lui inspirait confiance... ça sonnait comme un souvenir. Son visage lui évoquait quelque chose, surtout la forme de ses yeux, mais elle chassa bien vite cette impression de sa tête. C'était tout simplement impossible. Les probabilités qu'elle connaisse d'autres personnes que sa famille sur cette île étaient surement extrêmement faibles... alors elle répondit à sa question, incapable de retenir celle qui lui brûlait les lèvres, incapable de s'en tenir à son plan initial.

"Je suis nouvelle ici... mon avion s'est crashé... ma famille... je cherche ma famille."

Cette phrase, elle l'avait pourtant répétée des dizaines de fois dans sa tête, le temps du trajet. Elle était persuadée que le moment venu, elle déclinerait le pourquoi de sa présence avec force et détermination. Mais il y avait bien trop d'émotions en elle à cet instant pour réciter son texte comme une actrice. Ses poings étaient si fort serrés que ses ongles lui perçaient la peau et son coeur battait tellement fort qu'elle était certaine qu'il pouvait l'entendre de cogner contre sa poitrine. Autour, c'était comme si le temps s'était arrêté. Comme s'il y avait une sorte de bulle autour d'elle, que seule la réponse de l'homme pouvait percer. C'était l'instant fatidique.

Ses paroles avaient des teintes désespérées. Jamais elle sa voix n'avait tremblé à ce point. Elle aurait voulu rester solide, droite et garder les idées claires, mais maintenant qu'elle avait atteint son but, la pression semblait se relâcher et ses émotions tentaient de se frayer un chemin. Charlie parvenait encore à les contenir, mais jusqu'à quand? L'homme la somma de le suivre. Voilà, elle entrait finalement dans l'enceinte du château. Etait-ce un piège qui se refermait sur elle? Une prison encore bien plus concrète que cette île en elle-même? Elle n'en savait rien, et à vrai dire, c'était le cadet de ses soucis. La seule et unique chose qui l'intéressait, c'était sa famille. Et si l'homme prenait la peine de la faire entrer avant même de répondre à sa demande, c'est qui savait au moins quelque chose, non? Peut-être même qu'il allait la conduire à eux? L'espoir était si fort en Charlie que son coeur avait du mal à suivre la cadence.

Derrière eux, les portes se refermèrent et la jeune femme observait tout autour d'elle, à la recherche de ses paires. Elle ne faisait ni attention aux regards curieux qui la scrutaient, ni au décor teinté du gris des pierres. Ses mains n'avaient toujours pas lâché la anse de son sac en bandoulière, ni sa chaîne. Elle sentait le sang perler sous ses ongles, mais c'était la seule manière qu'elle avait de se contenir encore. Charlie décida de prendre encore un peu sur elle. Il le fallait. Ces gens ne lui devaient rien, mais elle, elle attendait beaucoup d'eux. Alors elle se devait de rester forte, au moins encore un peu. Elle dégluti, ravalant douloureusement ses questions qui, si elle leur laisser une chance, inonderaient l'homme qui l'avait accueillit. C'était dur, insoutenable, mais elle devait mettre toutes les chances de son côté. Elle ne savait pas qui étaient ces personnes et ce qu'elle avait entendu à leur sujet n'inspirait rien de bon. Pourtant, elle ne ressenti aucune hostilité à son égard. Peut-être que finalement, ils n'étaient pas si mauvais?

Finalement, l'homme s'arrêta, jugeant certainement qu'il ne servait à rien d'aller plus loin. Et lorsqu'il ouvrit la bouche, ce fut tous ses espoirs qui se retrouvèrent anéanti en instant. Son espoir, enterré six pieds sous terres, avec un gros diplodocus posé dessus. Ses ongles s'enfoncèrent encore un peu plus dans sa paume, si bien que le sang commençait à sérieusement en couler, tâchant au passage la poche de son jean, lentement mais surement. Tout ce que put faire Charlie, c'était hocher la tête, ravalant ses élans émotionnels qui ne demandaient pourtant qu'une chose : sortir. Son regard était plongé dans celui qui lui donné fait l'une des pires nouvelles de sa vie. S'ils n'étaient pas ici, où étaient-ils alors? S'ils avaient été sur l'île, les patrouilles auraient fini par les trouver, morts ou vifs. Ses yeux s'emplirent de larmes qu'elle était incapable de retenir, tandis qu'elle acquiesçait de nouveau au questionnement de l'homme au cheveux ébène.

Accablée par une foule de sentiments négatifs, ses épaules étaient secouées de tremblements. Toujours pas un mot. Elle se concentrait pour ne pas craquer. Que faire? A quoi bon continuer si plus aucunes des personnes qui lui était chère n'était de ce monde? Si elle avait tout perdu, tout ce qu'elle avait construit, tout ce qui faisait que sa vie était belle autrefois, et douce. Son arrivée ici n'avait été que synonyme de malheur et soudain, elle se surprit à haïr le monde entier. La rage trouva ainsi sa place au fond de son coeur, à côté du désespoir et de la tristesse.

La main posée sur son épaule manqua de la faire flancher définitivement. Elle se sentait comme au premier jour de son arrivée ici, lorsque Corben l'avait retrouvée inconsciente sur la plage l'avait secourue tant bien que mal. Quand elle avait comprit qu'elle était seule rescapée, elle était passé par tous les états. Plusieurs jours plus tard, elle avait même cru virer complètement folle. Et pourtant, elle avait finit par accepter sa nouvelle condition. L'île ne lui avait pas laissé le choix. Excepté peut-être que ce fameux jour, elle avait l'espoir de les trouver ici ou là, avoir de bonnes nouvelles des équipes de patrouilles, ou les trouver ici, chez les Outsiders. Aujourd'hui, tout espoir s'était envolé.

Désolé. Tout le monde était désolé pour elle. Mais ça ne changeait rien à ce qu'elle ressentait, évidemment. Elle supposait qu'il le savait parfaitement. Et ce qu'il lui avoua par la suite lui confirma bien des choses. Lui aussi était arrivé sur cette île de cette manière. Lui aussi avait perdu ses proches, sa vie d'antan. Une larme finit par s'échapper, coulant sur sa joue juste quelques secondes, juste le temps qu'il fallait pour qu'elle s'en rendre compte et l'essuie aussitôt. Elle ne voulait pas craquer devant toutes ces personnes. Ses sentiments l'a regardaient et la pitié était bien l'une des choses qu'elle détestait le plus voir dans le regard des gens.

Adam. Étrangement, ce prénom résonnait en elle. C'était lointain, très vague et elle n'était sûre de rien. Mais cette impression étrange qui la prenait d'assaut mit brièvement ses peines en suspens.

"Adam?" dit-elle dans un souffle, comme si le fait de prononcer son nom à haute voix pouvait résoudre l'énigme qu'il représentait. Et ça semblait marcher. "Adam..." ses yeux toujours voilés semblaient chercher au travers des siens, sombres et vifs. Ses sourcils se froncèrent. Elle tenait quelque chose, là. Mais elle ne savait pas encore quoi.

Et son nom mit un point final à ses interrogations. Adam Summers. Comment aurait-elle pu oublier? Son ami d'enfance qui avait disparu, bien des années auparavant, lorsqu'ils n'étaient que des gosses. Jamais elle n'avait eu le fin mot de cette histoire. Elle soupçonnait ses parents d'en savoir davantage, mais à l'époque, ils avaient voulu préserver leur fille en la laissant dans le flou. Des questions, elle leur en avait posé, ça oui. Mais les réponses n'avaient jamais assouvi sa curiosité et finalement, tout avait fini par se tasser et Adam était devenu un souvenir parmi tant d'autres, faisant surface de temps à autres avec nostalgie. Charlie resta un moment figée, bouche bée par ce qu'elle venait de réaliser.

"Oh mon dieu..." elle tremblait, portant sa main devant sa bouche. Si elle avait été dans d'autres dispositions, peut-être aurait-elle sourit. Peut-être aurait-elle été heureuse de le retrouver ici. Mais ça n'était pas le cas. Elle était bien trop perturbée pour ça. Et au fond, tous les deux étaient coincés ici, prit au piège sur cette île maudite qui leur avait volé leur vie. A cet instant et sur bien des plans, la mort semblait bien plus douce. Après tout, n'était-ce pas préférable? Elle s'était déjà posé la question, plusieurs fois, mais l'espoir la retenait toujours, la poussait en avant. Aujourd'hui, tout s'était envolé. Ne restait plus qu'un mélange hasardeux d'émotions, un cocktail dangereux prêt à exploser, ou imploser.

"Moi c'est Charlotte Nelson... Charlie."

Jamais elle n'aurait cru revoir Adam un jour. Et si on lui avait dit que ce serait dans de pareilles circonstances, elle aurait simplement prit ça pour une blague de très mauvais goût. Mais voilà, tout ça était on ne peut plus réel. Sa main sur son épaule l'était, ses yeux qu'elle avait presque immédiatement reconnu également. Il avait changé, énormément changé. Mais son regard était resté le même. C'est pour ça qu'elle avait su qu'elle pouvait avoir confiance en lui. Pour ça qu'elle ne s'était pas méfiée lorsqu'il lui avait demandé d'entrer. Ils étaient du même monde.

Elle n'avait pas trouvé sa famille, mais elle avait retrouvé un ami perdu depuis longtemps. Lorsqu'il prononça son surnom, Charlie, l'esquisse d'un sourire tremblant apparu sur son visage. Étrangement, ça lui fit un bien fou d'entendre dans la voix d'une personne qu'elle connaissait. Mais ça eu aussi pour effet de briser le barrage au bord de ses yeux. Elle plongea sur lui instinctivement, cachant son visage dans son épaule pour pleurer toutes les larmes de son corps. Si d'un autre point de vue, on aurait pu prendre cela pour des retrouvailles joyeuses et émues, il en était tout autre pour la jeune femme, au comble du désespoir.

"C'est un cauchemar... dis moi que c'est un cauchemar."

Clairement, elle se laissait aller. C'en était trop, elle ne pouvait plus rien retenir en elle. C'était comme s'il venait d'ouvrir le coffre fort qu'était son coeur. Prise de sanglots dont elle avait l'impression qu'elle ne pourrait jamais se défaire, Charlie sombrait, tout comme la carcasse de son avion l'avait fait, emportant avec lui les cadavres de ses passagers. Elle les voyait très clairement, à présent. Ses parents, ses frères... leur visage livide rejoignant les abysses... Là, au fond de l'océan, où plus aucune lumière ne perçait, où tout n'était que mort et désolation. Voilà ce qu'elle voyait.

Oui, tout ça était un véritable cauchemar. Jamais elle n'aurait penser vivre un tel drame. Jamais elle n'avait imaginé sa vie sans sa famille. C'était quelque chose n'avait jamais effleuré son esprit, même un instant. Ca lui était tombé dessus sans prévenir, d'une manière si abominable que ça dépassait complètement son entendement. Un véritable cataclysme, voilà ce que c'était. Le chaos régnait au fond d'elle et la noirceur gagnait du terrain, encore. Personne, pas même elle, n'aurait pu soupçonner que Charlie puisse s'éteindre une jour. Elle qui brillait pourtant si fort, qui d'un sourire, illuminait une pièce, enchantait son monde.

"Moi non plus."

Ce qui rendait les choses encore plus terribles et relança ses sanglots par la même occasion. Certes, ils s'étaient retrouvés, mais à quel prix? Dans quel monde? Ces retrouvailles étaient aberrantes, terrifiantes, pesantes. La brune se sentait épuisée et sa voix n'était plus qu'un murmure. Comment avait-il pu tenir tout ce temps dans cet endroit, après avoir tout perdu comme elle? Ca semblait insurmontable.
De longues minutes passées à sangloter passèrent avant que ses larmes ne se tarissent. Elle n'aurait pas pensé ça possible, d'ailleurs, tant elle était malheureuse, au fond du seau. Mais contrairement à l'esprit, le corps à ses limites et les siennes étaient atteintes sur de nombreux points. Enfin, elle se recula, essuyant son visage d'un revers de la main, déposant ainsi quelques traces de ce sang qui avait coulé en un filet le long de son poignet. La scène était terriblement évocatrice du drame qu'elle vivait. Son coeur était meurtri, comme lacéré de l’intérieur. C'était affreusement douloureux. Elle avait peine à retrouver un souffle normal. Charlie ne savait pas quoi faire, quoi dire. La seule chose qu'elle avait envie de faire, c'était se terrer dans un coin pour se morfondre.

Blessée? Oui, elle l'était. Au plus profond d'elle. Lorsque Adam attrapa sa main pour constater ses blessures, Charlie se laissa faire, mortifiée. Elle essuya sa main sur son sac crasseux. Tout cela n'avait plus aucune importance. Elle pouvait bien la perdre, sa main. A quoi bon continuer, de toute façon?

"C'est rien." se contenta t elle de dire.

Car oui, somme toute, ces quelques plaies sur sa paume n'étaient rien en comparaison de ce qui se passait en elle. La jeune femme se souciait peu de sa santé, en réalité. Elle aurait pu mourir sur le champs, ça n'aurait rien changé aux faits. Ici, ils étaient seuls. Perdus à jamais dans un monde qui dépassait l'entendement. Tout ça lui faisait une impression d'impossible. C'était un peu comme ces soirées étoilées qu'elle avait passé avec son père, scrutant le ciel allongés l'un près de l'autre en discutant de ce qui se passait au dessus d'eux. De ces distances si grandes qu'elles étaient totalement inimaginables pour un homme. De ces étoiles si grandes qu'à côté, leur belle planète étaient tout juste visible. Voilà maintenant ce qu'elle ressentait. Une grand vide sous ses pieds, autour d'elle, en elle.
Charlie se laissa entraîner par Adam qui avait entouré ses frêles épaules de son bras. Ce contact encra encore davantage la jeune femme dans cette triste réalité. Ils pénétrèrent dans le château sans qu'elle quitte le sol des yeux, perdue dans les méandres de ses pensées morbides, dévastée. Leurs pas raisonnaient sur le sol froid et dur du bâtiment sans qu'à aucun instant elle ne prête attention à ce qui se passait autour d'elle.

Docile, elle se laissa guider par Adam jusque dans cette pièce, jusque sur ce banc ou elle prit douloureusement place. Elle n'avait qu'une envie, c'était se recroqueviller. D'ailleurs, son dos était arqué et sa tête penchée en avant. On voyait bien qu'elle était à bout de force, mais surtout au bout de ce qu'elle était capable d'endurer. Le bruit de flacons teintant les uns contre les autres ne fit pas relever les yeux de Charlie, ni même la présence d'Adam agenouillé devant elle. Il s'empara de sa main, passant un tissu humide sur ses plaies. Elle sentait bien son regard posé sur sa tignasse, cachant partiellement son visage tel un rideau cachait une scène à la fin d'une pièce de théâtre. Mais cette pièce n'était pas belle à voir et ne méritait aucun applaudissement.

Est-ce qu'elle serait capable de guérir un jour? Est-ce que la plaie béante sur son âme finirait par se combler? Rien n'était moins sûr. Et pour l'instant, c'était inenvisageable. Elle se sentait si mal... c'était impossible. Impossible de guérir d'une telle blessure, d'une telle perte. Ses yeux ne trouvaient rien ou s'accrocher, ils baignaient seulement dans l'espace, exprimant ainsi cet immense sentiment de vide. Sans qu'elle le contrôle, sa langue se délia, alors que son visage était toujours éteint.

"Je les aimes tellement... j'aurais préféré mourir à leur place... "

Adam avait raison, évidemment. La perte de Charlie pour les membres de sa famille aurait été un drame. Mais à quatre, ils se seraient soutenu, ils auraient tout fait pour préserver cette unité, cet amour, et ils auraient réussi à surmonter cette épreuve. Ensemble, ils auraient pu avancer, mains dans la mains, en conservant les plus beaux souvenirs de leur enfant, de leur soeur. De son côté, elle était seule face à ces quatre cadavres qui flottaient dans son esprit. Charlie se sentait démunie. Etait-elle assez forte pour continuer à vivre avec ça? Rien n'était moins sûr.

Le récit qu'Adam lui faisait de son arrivée sur l'île semblait sortir tout droit d'un film d'horreur. S'il lui était déjà difficile de concevoir la perte de sa famille sans même avoir vu leurs corps inertes, elle n'imaginait pas un seul instant quel effet ça aurait eu sur elle de les voir se faire dévorer sous ses yeux. Ca avait du être atroce. D'autant que sa mère s'était sacrifiée pour lui, pour sa vie. Et lui, comment avait-il trouvé la force de mener cette vie, offerte au prix de ce terrible sacrifice? Avait-il songé, comme elle, qu'il n'y arriverait jamais? S'était-il dit, lui aussi, qu'il aurait préféré mourir à sa place? Sûrement, oui.
Et pourtant, malgré tout ce qu'il avait traversé, toute cette douleur, cette peine, cette rage aussi surement, il était là, bien en vie. Devant elle, à la soutenir. Ben releva la tête, plongeant de nouveau ses yeux dans les siens comme si elle pouvait y voir toute la scène décrite. Elle resta comme ça, muette et sombre, durant de longues minutes qui lui parurent des heures. Adam faisait au mieux pour lui maintenir la tête hors de l'eau et quelque part, il avait réussi. Du moins partiellement. Car même si continuer à vivre ainsi lui semblait dénué de sens, elle envisageait d'essayer. Au moins, elle devait essayer. Pour eux, en leur mémoire, ne serait-ce que pour faire vivre leur souvenir.

Mais l'histoire d'Adam fit resurgir autre chose en elle. Une possibilité, infime certes, mais existante. Cette autre île dont on lui avait parlé. Celle qui, lui avait-on dit, était infestée de carnivores assoiffés de sang. Celle qui ne laissait aucune chance à ses rescapés. S'ils avaient échoué là-bas, il n'y avait presque aucune chance qu'ils aient survécu. Elle l'avait bien comprit, atterrir là bas, c'était comme signer son arrêt de mort. Charlie ne se faisait aucune illusion, elle n'y croyait plus. Mais peut-être qu'au moins, elle y trouverait leurs corps. Son esprit était brouillé et la jeune femme avait du mal à réfléchir, mais c'était tout ce qu'elle avait pour tenir, pour l'instant.

"Il y a cette île, l'Outer Island..."

Adam libéra sa main de son étreinte, découvrant en même temps qu'elle les quatre plaies à la forme explicite qui s'y étaient incrustés. Son regard glissa lentement sur celle ci. Elle n'avait pas mal, elle ne ressentait plus grand chose à vrai dire. Une enveloppe vide, voilà ce qu'elle avait l'impression d'être. Même ce picotement sur sa peau lui semblait lointain, comme s'il ne lui appartenait pas vraiment.

"Oui."

Charlie en savait surement trop pour son propre bien, d'ailleurs. En quelques jours seulement, elle en avait apprit beaucoup. La jeune femme avait posé les bonnes questions aux bonnes personnes. Elle s'était également renseignée de son côté. Certes, ses connaissances sur la nature de ce monde restaient superficielles, mais c'était assez. Assez pour risquer sa vie, insuffisant pour la conserver. Ce qui relevait à présent du détail.
Elle n'en dit pas plus, n'expliqua pas le fond de sa pensée à Adam. D'abord, elle n'aurait surement pas été capable de mettre en ordre ses idées pour les exposer, ensuite, c'était inutile. Il était loin d'être stupide, ne l'avait jamais été d'ailleurs. Il savait ce qui se tramait sous sa tignasse bouclée. Qui mieux que lui pouvait la comprendre? Au delà du fait qu'il avait connu la jeune Charlie, il était passé par là, lui aussi. Bien souvent, situation désespérée allait de paire avec des actes du même acabit.

"Je sais."

Oui, elle savait qu'il n'y avait rien là-bas. Si elle trouvait quelque chose sur cette île, ça ne serait que la mort. La sienne, ou celle de ses paires. On le lui avait déjà fait comprendre, et ce qu'elle avait lu à ce sujet n'avait fait que le confirmer. De plus, la réaction d'Adam ne laissait aucun doute sur ce qu'il pensait de tout ça. Mais quand bien même, elle devait s'y rendre. Il n'y avait plus que ça à faire. C'était sa seule perspective, son seul objectif. Sordide, mais existant. Alors elle irait.

C'était stupide selon bien des points de vues, mais Charlie ne voyait pas ça sous cet angle. Elle avait tout fait pour retrouver sa famille, mais c'était peine perdue. S'ils étaient encore en vie quelque part, ça ne pouvait être qu'ici. Hélas, ça n'avait pas été le cas. Personne ne les avait trouvé, et elle faisait suffisamment confiance aux dinotopiens pour savoir que de leur côté, ils avaient usé de tous leurs moyens pour ça. Alors à présent , elle ne pouvait qu'espérer retrouver leurs corps. C'était la moindre des choses... pour eux, et pour elle. Peut-être que ça l'aiderait. Peut-être...