[Terminé] Un après-midi pour deux (Charlie)

Ses blessures, oui. Charlie en avait marre de devoir y penser constamment. Surtout que lorsqu'elle parvenait à oublier la gêne qu'elles lui procuraient, si elle avait le malheur de faire un mouvement de travers, elles semblaient se faire un plaisir de lui rappeler leur existence. Les guérisseurs lui avaient pourtant bien dit de passer les voir aujourd'hui, mais elle n'en avait pas l'intention. Elle avait simplement répondu un "oui oui" pas très convaincant avant de disparaître. Voilà plusieurs jours qu'elle n'y avait pas été et elle savait qu'à la seconde où l'un d'eux l'apercevrait, elle devrait retourner se faire soigner, aussi avait-elle décidé de ne pas trop traîner dans les parages, quitte à passer sa journée chez Sera.

S'occuper de ses armes. Adam n'avait que ces mots à la bouche : patrouille, entraînement, armes. Ne trouvait-il pas ça un peu rengaine à la longue? Au moins de son côté, Charlie ne s'ennuyait jamais. Chaque jour apportait son lot de nouveautés, et ces dernièrement ne rimaient pas avec danger contrairement au quotidien des guerriers du clan.

"Je sais pas trop... J'hésite entre aller voir Sera... ou continuer à t'embêter encore un peu." En vérité, Charlie aurait préféré passer le reste de sa journée avec Adam plutôt que de rentrer à la maison tout de suite, mais elle n'osa pas l'exprimer clairement, sans trop de raison. Peut-être parce qu'elle ne voulait pas imposer sa présence ou détourner le guerrier de ses obligations. En tout cas, il aurait pu lui proposer d'aller à l'armurerie avec lui qu'elle se serait empressée d'accepter. Peu importait à la jeune femme du moment qu'il la laissait lui coller au train.

Oh, Charlie n'avait pas froid aux yeux et les menaces d'Adam ne faisaient qu'attiser son envie de l'embêter un peu plus longtemps. Ca sonnait comme une invitation à ses oreilles. A l'époque, ses frères et elles étaient très complices, toujours collés les uns aux autres dès que l'occasion se présentait et les chamailleries, c'était leur truc. Avec deux frères bagarreurs, Charlie avait du apprendre à avoir du répondant aussi bien physiquement que verbalement. Ils se cherchaient toujours des poux, mais ça n'allait jamais plus loin. Pour autant, ils ne se disputaient jamais. Les trois enfants Nelson étaient unis comme les doigts d'une même main et rien n'aurait pu les séparer, sauf cette île.

"Je sais!" dit-elle l'air vraiment trop enjoué. "Tu crois que tu m'fais peur?" Alors qu'elle provoquait Adam, le garçon de Sera fit son apparition, gai comme un pinson. Il passa devant le guerrier, le remarquant tout juste, et se pointa devant la jeune femme avec un sourire jusqu'aux oreilles. "Dis Charlie, j't'ai vu courir partout tout à l'heure! C'est mon bonbon qui t'as fait cet effet là, dis?" Le petit semblait tout à fait émerveillé à l'idée que la sucrerie qu'il lui avait offert ce matin ai donné tant d'énergie à celle qui dormait dans le grenier de sa maison depuis un moment déjà et qui prenait soin de lui à l'occasion. "Bah oui! T'as mis quoi dedans? De l'extrait de t-rex?" Cette petite boutade fit rire le garçon qui reprit : "Ah! J'en étais sur! J't'en ai apporté plein d'autres!" il sorti de sa poche une poignée de bonbon pour les tendre vers Charlotte qui lui souriait tendrement. "Comme ça, t'auras toujours le sourire! Tu sais, j'aime bien quand t'es comme ça! T'es trop rigolote!" "Merci beaucoup." fit-elle, vraiment touchée par le geste du gamin à la chevelure plus longue que la sienne. Elle lui posa un bisou sur la joue et le petit déguerpi aussitôt, ravi.

"T'en aura pas!" dit-elle en fourrant ses présents dans sa poche. Elle plaisantait, n'ayant pas oublié son objectif premier, soit enquiquiner son ami d'enfance, mais les mots du garçon l'avait réellement touchée. Heureusement, l'eau dont elle avait aspergé son visage cachait la larmichette qui avait perlé au coin de son oeil. Il est vrai que pendant un long moment, la jeune femme n'avait pas été elle-même, ressemblant plus à une âme perdue, boule de chagrin ambulant et terriblement déprimante. Traumatisée par les évènements qui l'avaient menée jusqu'ici, Charlotte n'avait pas eu le coeur à rire et moins encore à sourire avant récemment. Elle le faisait, oui, mais pas sincèrement. Il s'agissait plus de faire bonne figure, de montrer que tout allait bien pour éviter les questions fâcheuses, les regards peinés que l'on posait sur elle. A son retour de leur voyage au sud et en dépit de ses blessures, elle était revenue changée et ça n'avait échappé à personne. Peu à peu, Charlie retrouvait son enthousiasme, sa joie de vivre.

"Bon, on va astiquer tes armes ou tu veux toujours me jeter dans l'océan?"

Effectivement, Charlotte avait aussi le sentiment d'être une grande soeur pour cet enfant. Chaque matin, ils pensaient à embrasser l'autre avant de se quitter pour la journée et il en allait de même le soir, après avoir joué à un jeu quelconque, puisqu'il n'avait de cesse de lui demander et qu'elle était incapable de lui refuser, même si elle piquait du nez la plupart du temps. Si sa mère n'était pas présente, c'était vers Charlie qu'il se tournait. Avec le temps, une certaine complicité était née entre eux et ça faisait du bien à la jeune femme de se sentir aimée, d'avoir retrouvé une famille en quelque sorte. Venir au château avait été la meilleure décision qu'elle ai prise de toute sa vie. Cela se confirmait chaque jour un peu plus.

La jeune femme ne doutait pas que s'ils avaient été près d'un point d'eau plus étendu qu'un simple puits, il n'aurait pas attendu une seule seconde pour l'y jeter. "Pff." fit-elle, faussement dédaigneuse. "Bah j'sais pas, j'peux toujours essayer. Si ça se trouve, je vais me trouver une nouvelle passion!" plaisanta la brune. Certes, elle était curieuse de voir en quoi consistait exactement la préparation d'Adam pour ses patrouilles, mais elle était bien moins intéressée par cela que par le fait de rester avec lui. Ca, il devait s'en douter, pensa t elle.

"Roh... sois pas si sérieux! J'avais compris, rassure toi."

C'est qu'il était aussi tenace qu'elle! Pour une fois que la jeune femme s'était fait une raison, voilà qu'il pensait à une sorte de stratagème de sa part. Il avait du s'imaginer que ce serait le prétexte pour elle d'accélérer un peu les choses et ça aurait pu vexer la jeune femme si elle n'était pas de si bonne humeur et si ça n'avait pas été _un tout petit peu_ le cas.

Sur le chemin de l'armurerie, Charlotte ne manqua pas de voir cette femme armée d'une épée qui eu droit à son regard admiratif. Ca n'était pas l'arme la plus aisée à manier, du peu qu'elle en savait, et surement pas celle vers laquelle elle se serait naturellement tournée, mais il y avait de quoi être impressionnée.

Après un court moment, ils arrivèrent enfin dans le bâtiment. Sous ses yeux, des armes en tout genre étaient parfaitement rangées à leur emplacement. Les Outsiders semblaient en prendre particulièrement soin et sans doute à raison. Adam lui présenta alors l'arme qu'elle avait évoqué un peu plus tôt, près de la zone d'entraînement. Que répondre à sa question? "Je sais pas, surement parce que je t'ai vu t'en servir quand... enfin tu sais." Ca la faisait frissonner rien que d'y penser. "Et aussi parce que je pense que c'est à ma portée. J'en suis sûre en fait." Elle était déterminée. C'était tout Charlie ça.

A ses yeux, cette option ne présentait que des avantages. Pouvoir tenir en respect un ennemi à distance raisonnable d'elle était le premier. Ensuite parce que ça ne demandait pas une grand force musculaire, ce qu'elle n'avait pas et que si lui prenait l'envie de voyager, c'était léger et plutôt pratique en son sens. Mais son envie d'écoulait principalement du premier fait évoqué avec Adam. Ce jour où le volatile l'avait attaquée restait gravée dans sa mémoire. Elle en faisait encore des cauchemars. Plus que les deinonychus désormais, c'étaient bien les ptéranodons qu'elle craignait par dessus tout. Et comment atteindre une de ces bestioles une fois qu'elle s'était envolée si haut qu'aucune lance ne pouvait l'atteindre?

C'était bien vrai, et il était surement la seule personne sur cette île à la connaître aussi bien. Contrairement à lui, Charlie avait grandi dans ce même monde où ils s'étaient connus et au fond, elle n'avait pas beaucoup changé. Elle avait muri sur certains points évidemment, mais restait la même. Adam avait retrouvé l'adolescente qu'il avait connu jadis tandis qu'elle avait eu de la peine à le reconnaître dans un premier temps, ne serait-ce que physiquement.

"Surement, mais ça vaut quand même le coût d'essayer." Charlie n'aurait pas osé le dire ainsi, mais c'est bien l'impression qu'elle avait de la pratique. D'un point de vue extérieur, cela semblait simple comme bonjour. Il suffisait d'encocher une flèche, de viser, on lâchait la corde et voilà. Dans le principe, ça n'avait pas l'air sorcier, mais elle se doutait bien que ça n'était pas aussi simple, comme le disait Adam. Comme tout, cela s'apprenait. Et comme tout ce qui s'apprend, c'était à sa portée. Voilà comment Charlie voyait les choses. Si lui y arrivait, pourquoi pas elle? Elle n'était pas si nulle, tout de même! Et s'il s'avérait toutefois que ça ne soit pas son truc, elle finirait bien par trouver une autre arme qui lui correspond. Son optimisme n'en démordait pas, ça ou autre chose, Charlie voulait pouvoir se défendre sur cette île, sans dépendre de personne, et elle y arriverait coûte que coûte.

L'australienne regarda son ami s'emparer d'un arc et remplir un carquois, interloquée. Qu'avait-il en tête, exactement? Une petite démonstration? Elle s'assit sur une caisse en bois où était inscrit "cordes" en caractère gras, attendant de voir la suite. "Qu'est-ce que tu fais?"

Faux espoir pour Charlie. Bien qu'Adam l'ai prévenu que ce petit tour à l'armurerie ne déboucherait sur rien d'exaltant pour elle, la jeune femme s'était faite des idées en le voyant attraper des flèches. Elle ne montra rien cependant, restant assise sagement sur sa caisse en bois. Dommage, mais rien de surprenant. Son ami était aussi têtu qu'elle. Néanmoins, lorsqu'il entama des explications plus approfondies sur son tri comme il disait, la mine de la brune se fit plus sérieuse. Attentive, elle prenait note de toutes les informations qu'il voudrait bien lui donner. Une sorte de mise en bouche avant de s'attaquer au gros oeuvre, se disait-elle. C'était mieux que rien. "C'est si important que ça, les plumes?" La tête penchée, elle essayait de deviner à quoi cela pouvait bien servir. "C'est pour la trajectoire, c'est ça?" Charlotte se creusait la tête, tâchant d'imaginer à quoi pouvait bien ressembler une flèche sans ces plumes coupées au bout.

"Euh, je sais pas trop." avoua t elle en examinant la flèche qu'il lui présentait sous toutes les coutures. "Elle a pas mal servi, on dirait." Charlie avait plein de choses à apprendre en bien des domaines, celui-ci n'était qu'un parmi tant d'autres, mais elle s'essayait à l'exercice avec d'autant plus d'intérêt. L'australienne tournait l'objet dans tous les sens, la faisait rouler entre ses doigts, toucha du bout de son index la pointe de celle-ci lorsque finalement, elle trouva ce qui clochait. "Oh! Elle est légèrement tordue!" lâcha t elle finalement, comme une révélation qui s'imposait à elle. "Mais ça se voit à peine! C'est grave?"

Studieuse n'était pas vraiment le mot qui définissait le mieux Charlotte. Elle ne l'avait jamais été que pour les choses qui l'intéressait vraiment et si au lycée elle était bien assise à son bureau, elle n'écoutait pas grand chose des leçons qu'on lui donnait. D'ailleurs, elle n'avait pas fait de grandes études par la suite. En revanche, du moment qu'elle s'intéressait à quelque chose, elle prenait le temps qu'il fallait pour comprendre. C'est ce qu'il se passait en ce moment même.

"Ah..." fit-elle en entendant les explications au sujet des fameuses plumes. Elle avait donc bien deviné, c'était une question de trajectoire plus que d'allure! Elle hocha la tête, ravie d'avoir trouvé ce qui clochait avec la flèche qui lui avait mit entre les mains. C'est qu'elle n'était pas si ignorante! Cela la surprenait elle-même. Surement une question de chance, se dit-elle pour calmer ses ardeurs.

Restant attentive, elle rendit la flèche à Adam et posa sa tête sur un de ses genoux après avoir posé son pied sur le rebord de la caisse en bois qui lui servait de chaise. Elle buvait les paroles de son ami. "D'accord, je comprend mieux." Le pauvre objet avait fait son temps et Adam la brisa en deux sans pitié. Manifestement, il n'y avait plus rien à tirer d'elle. Quittant son perchoir, elle vint s'installer à genoux, à même le sol, près de la caisse qui contenait les flèches qu'Adam s'était mit à trier. "Attend, je vais essayer de le faire." Elle entreprit de faire un tas de celles qu'elle jugea bonnes d'un côté, et de mauvaises de l'autre. Charlie en prit une, puis deux, et les deux tas s'épaissirent bien vite à côté d'elle. Consciencieusement, elle examinait les projectiles avec un oeil qui s'habituait de mieux en mieux aux défauts qu'elle recherchait. Lorsqu'elle eut terminé, quelques minutes plus tard, elle demanda au guerrier de bien vouloir vérifier son travail. "Alors? J'me suis trompée?"

Il est vrai que la jeune femme avait toujours préféré les travaux pratiques. Même la théorie, du moment que celle-ci restait applicable au quotidien, mais il fallait qu'elle y trouve un intérêt. A l'époque, les seules matières où elle y mettait du sien restaient l'apprentissage des langues étrangères, les arts, la biologie... et c'était à peu près tout en fait. Du moment qu'on lui demandait de retenir des choses par coeur juste pour pouvoir les recracher en temps voulu, ça ne fonctionnait pas. Charlotte trouvait cela ennuyeux au possible. A quoi bon se remplir la tête bêtement si ça n'avait aucune autre utilité que de faire beau sur le papier? Bon nombre de ses professeurs avaient baissé les bras avec elle et la jeune femme, avec l'aide d'Adam, s'était perfectionnée dans l'art de faire des antisèches. Ca ne marchait pas à tous les coups pour elle, mais ça lui garantissait quelques bons résultats totalement injustifiés et une belle dose de temps libre pour vaquer à ses occupations préférées.

Pas peu fière de sa petite performance, Charlie releva la tête vers Adam. "C'est vrai?" Oui apparemment, puisqu'Adam prit le tas valide pour les ranger dans un carquois. Aucune petite erreur ne s'était glissée dans un des tas! C'était un bon début et ça ne faisait que l'encourager. La jeune femme était aux anges et à la proposition de son ami, elle ne pu répondre autrement que par l'affirmative. "C'est d'accord!" Une nouvelle tâche s'ajoutait à toutes celles qu'on voulait bien lui confier. La liste commençait à être longue, mais loin de l'embêtait, Charlie en était bien contente. Surtout que cette fois, ça la rapprochait un peu plus de son objectif.

Comme les meilleurs choses ont une fin, il était temps pour Adam de quitter le château, et elle avec. Le voir passer la grande porte lui faisait toujours un effet désagréable. Après ce qu'elle avait vu pendant leur voyage, elle ne doutait absolument pas des capacité du guerrier, néanmoins personne n'est à l'abri du pire des destins, pas même eux qui avaient vécu tant de drames, et elle ne pouvait pas s'empêcher de ressentir une certaine appréhension. Et s'il ne revenait pas, un jour? Elle chassa cette sombre pensée de son esprit, ne voulant pas se sentir si mal après un moment comme celui qu'ils avaient passé ensemble.

"Oui, à plus tard."

Adam ferma la porte après s'être bien équipé, laissant l'australienne sur le sol froid de l'armurerie avec ses flèches. Pensive, elle tria de nouveau son mauvais tas, séparant cette fois celles qui n'avaient que des plumes en mauvais état de celles dont le bois avait fléchi avec le temps et qui, d'après son ami d'enfance, ne valaient plus un clou. Lorsqu'elle eu terminé, elle rejoint la cour du château où le petit Wyatt l'attendait, un nouveau bidule en main.