[Terminé] Chapeau de paille et bottes de cuir - Adam

Chapeau de paille et bottes de cuir

Charlie avait tout préparé depuis des jours. Il ne manquait plus qu'à trouver Adam, et... et quoi? Elle ne savait pas trop à quoi s'attendre de sa part, mais elle était enthousiaste et plutôt fière d'elle, il fallait bien l'avouer. Bon, Charlotte ne nourrissait pas trop d'illusion. Adam ne sauterait pas au plafond, mais peut-être qu'il serait un peu content pour elle, au moins? Et puis si ça se trouve, il se doutait déjà de quelque chose...

Le soleil descendait peu à peu dans le ciel. Il restait moins de deux heures avant que la nuit ne tombe, alors il ne fallait pas traîner. Charlie savait exactement où trouver Adam. Ca n'avait rien de sorcier, puisqu'elle l'avait vu passer la grande porte en début d'après-midi en compagnie d'autres guerriers, ils n'allaient pas tarder à rentrer au bercail. Assise non loin de l'entrée, la jeune femme attendait le sourire aux lèvres, les joues rosies par ses projets et la pointe de stress qui l'accompagnait.

Lorsque les portes s'ouvrirent enfin. En tête de file, quatre chasseurs étaient chargé de transporter leur prise, un gros dinosaure dont elle ne connaissait pas l'espèce, la tête pendant dans le vide et dont les crocs acérés et les yeux grand ouvert la mirent mal à l'aise. Elle les laissa passer, cherchant des yeux la chevelure la plus sombre. "Adam!" s'écria la jeune femme qui ne quittait plus son chapeau de paille. Elle s'approcha de lui, évitant les guerriers fatigués tout en s'excusant. "Adam, y a un truc qu'il faut que je te montre." dit-elle une fois face à lui. Charlotte lui prit la main et l'entraîna à sa suite, en direction d'une cabane à outils qui bordait l'un des champs, le plus à l'écart, proche des remparts.  
Derrière cette cabane, Charlie avait installé une vieille caisse en bois retournée en guise de siège. "Assieds toi, s'il te plaît." Devant lui se trouvait deux bottes de pailles qu'elle avait eu bien du mal à hisser l'une sur l'autre. Elle y avait accroché une cible peinte sur un vieux sac à pomme de terres. Sur le tronc d'un arbre était dessiné plusieurs ronds rouges barrés d'une croix à divers endroits. "Attend une seconde." Puis elle disparu dans la cabane un bref instant et revint armée d'un arc et d'un carquois contenant une poignée de flèches. Elle souffla un bon coup, tâchant de calmer sa nervosité. Sans un mot, ni un regard vers Adam de peur d'y voir quelque chose susceptible de la décourager, la brune se mit en position, prenant grand soin de ne pas faire d'erreur, puis tira sur sa cible. En plein milieu. Elle tira trois fois de suite, reculant de plusieurs mètres à chaque tir, et n'en manqua aucun. Après ça, elle mit son arc à la manière d'une bandoulière et attrapa successivement les couteaux qu'elle avait coincé dans sa ceinture, en plus de celui qu'elle tenait d'Adam. Comme tout à l'heure, elle réussit à ficher la lame dans les marques qu'elle avait faite sur le tronc et n'en manqua qu'une seule, de peu.

Elle s'était entraîné de longues heures pour y parvenir, après le travail au champ. Presque tous les jours, assidument, elle s'était exercée, avait observé les archers pratiquer, cherchant à s'améliorer un peu plus à chaque fois, et aujourd'hui, Charlotte avait envie de partager sa réussite avec la seule personne qui comptait vraiment à ses yeux. Pourquoi ne pas s'être rendu sur la zone d'entraînement, tout simplement? Cela lui était arrivé plusieurs fois, mais seulement lorsque Adam n'était pas dans les parages. Ici, derrière la cabane à outils, elle était sûre qu'on ne la verrait pas et de ne blesser personne puisqu'elle tirait face au rempart. "Je sais que je suis encore lente et que c'est des cibles statiques, mais... enfin... qu'est-ce que t'en penses?" demanda Charlotte avec un sourire qui trahissait son appréhension.

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Chapeau de paille et bottes de cuir

Charlotte s'était finalement risquée à regarder Adam, non sans craindre la réaction de ce dernier. Les mains dans le dos, elle triturait ses doigts, fixant sa nuque tandis qu'il observait de plus près les cibles qu'elle avait touché. Lorsqu'il se retourna, ce fut pour répondre à sa question par une autre. Elle tenta un sourire timide et ne sachant pas quelle nuance de bleu elle trouverait dans ses yeux, préféra regarder ses chaussures tâchées par quelques éclaboussures de ce qu'elle devinait être du sang.

"Euh je... je m'entraîne depuis un moment déjà... depuis euh... un peu après qu'on soit rentrés au château."

Ca n'avait pas commencé un jour précis, en réalité, et de toute manière elle aurait été bien incapable de donner une date. Il y avait eu sa rencontre avec Erik, sa vraie rencontre. En de meilleures circonstances, elle l'avait mieux aimé, et il lui avait appris deux ou trois choses. Et puis Morrigan qui s'était présentée à elle à force de la voir perchée au dessus de la zone d'entrainement. L'archère lui avait gentiment proposé de l'initier au tir à l'arc, la sortant de ses rêveries, de ses questions qui n'aboutissaient jamais pour la plonger dans l'action. Après ça, elle avait continué à s'exercer toute seule, se prenant au jeu. Puis le jeu avait changé en quelque chose de plus sérieux, de plus intense. Oui, à partir de là, Charlie avait décidé de reprendre du poil de la bête. Si elle avait des choses à se prouver, c'était maintenant ou jamais.

"Tu sais, ça m'a fait beaucoup de bien... d'apprendre par moi même."

Et ça avait fonctionné, en partie. Adam l'avait surement remarqué. Ses sourires étaient devenus plus fréquents, elle avait repris des couleurs et venait plus souvent assister au banquet. Charlie ne se sentait surement pas en capacité d'affronter tout et n'importe quoi, mais au moins, elle n'était plus incapable. Elle avait un peu plus confiance en elle. Ce sentiment la rassurait. Elle parvenait même à dormir des nuits entières depuis qu'elle maniait mieux le couteau qu'elle gardait sous son oreiller. Adam lui avait donné son remède, et elle avait trouvé comment s'en servir.
Alors oui, de ce point de vue là, ça avait plutôt bien fonctionné. Pour ce qui était du monstre, rien n'était moins sûr en revanche, surtout depuis qu'il était armé... mais peut-être que si elle n'avait plus peur comme cette fois là, peut-être que si elle était plus forte, elle ne le reverrait plus jamais, ce monstre. C'est l'espoir qu'elle nourrissait. Car un second choix s'était offert à elle, un choix qui l'avait longtemps poussée à rester loin de la zone d'entraînement, qui l'avait poussée à se morfondre. Charlie aurait pu jouer la carte de la chose fragile qu'elle était ici. Continuer à dépendre des autres, à cultiver ses angoisses, à rester sage, triste, pitoyable. Mais elle en était incapable. Ca n'était pas elle, impossible, inconcevable. Elle en avait eu assez.

"Alors? Qu'est-ce que t'en penses?" Bonne ou mauvaise surprise?

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Charlie osa enfin plonger son regard dans le sien, sachant parfaitement le risque que cela représentait. Et elle n'y coupa pas. Ce soupir, cet air qu'il affichait... mais elle gardait espoir qu'il change d'avis, qu'il ai finisse tout de même par partager sa fierté, rien qu'un peu... Charlie était vraiment une optimiste. "Bah euh, ouais..? J'ai regardé les archers s'entraîner un moment et puis... on m'a juste donné les bases et... j'ai continué toute seule." La jeune femme avait pris grand soin d'éviter de citer le prénom de l'archère en question. A quoi aurait eu droit la si gentille Morrigan sinon? Adam n'était pas un monstre, mais il lui aurait fait sentir son mécontentement, d'une manière ou d'une autre, elle en était sûre.

Ses bras étaient à présent croisés contre sa poitrine, la jeune femme se fermant à mesure qu'elle voyait le vent tourner. La conclusion à tout ça ne tarda pas. Sa réponse lui coupa le souffle, tout net. Charlotte était incroyablement vexée, mais aussi triste, très en colère, et le mélange était détonnant. Son visage changea totalement. Jamais elle ne s'était mise en colère après lui, ni dans cette vie, ni dans la précédente. "Et toi, ça fait longtemps que t'as décidé d'être un emmerdeur?" Pourquoi avait-il fallu qu'il lui dise ça, qu'il pense ça?  "Je savais bien que ça te plairais pas, que tu t'inquièterais, mais je croyais, très naïvement, qu'en te montrant de quoi je suis capable, tu serais quand même content pour moi au final. Que tu me comprendrais. Figure toi que je sais que t'aurais fini par m'aider si je t'avais demandé! C'est pas un problème de confiance, put***! Mais tu sais quoi? J'en ai marre de demander la permission! J'en ai marre de subir ma vie, Adam! Et là, j'avais envie de me débrouiller toute seule! Parce que je suis comme ça, c'est tout!" Tout en disant cela, elle avait retiré l'arc qui barrait sa poitrine pour le jeter par terre, de rage. Son carquois aussi vola, tout comme son chapeau qu'elle aimait tant porter, pourtant. Fatalement, les larmes accompagnaient ses mots prononcés avec émotion et elle ne pu pas venir au bout de sa phrase.  Après ça, alors que son coeur battait la chamade, elle ajouta pour finir, "Désolée d'être une si grande déception.", puis elle s'enfuit. Courant dans les champs qu'elle connaissait sur le bout des doigts, elle les traversa successivement jusqu'à atteindre les étendues de millet. Elle s'y laissa tomber lourdement, pleurant toutes les larmes de son corps.

Déjà, la brune regrettait amèrement les paroles qu'elle avait eu envers Adam. La vérité, c'est qu'elle s'en voulait plus à elle-même qu'à lui. Après avoir arraché deux ou trois pauvres plants de millet qui se trouvaient à sa portée, elle se mit à frapper la terre de ses poings, mais la douleur n'égalait en rien celle qui la rongeait de l'intérieur depuis tout ce temps et dont il lui semblait impossible de se débarrasser.

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Après qu'elle eut suffisamment ruiné ses phalanges et réduit en miette toutes les plantes qui se trouvaient à sa portée, Charlie se recroquevilla sur elle-même. Assise sur ses talons, la tête sur ses genoux, elle pleurait et pleurait encore, essayant de faire le moins de bruit possible. A cette heure, il arrivait parfois que les enfants jouent dans les parages et ne tenait franchement pas à rendre triste l'un d'eux. Elle avait fait assez de dégâts pour aujourd'hui et très honnêtement, elle ne l'aurait pas supporté.

Les regrets étaient toujours immédiats dans ces moments là. Lorsque la colère la prenait, ce qui était très rare chez Charlie, c'était toujours explosif et il n'y avait rien à faire. Ca se passait toujours pareil. Elle disait tout ce qui lui passait par la tête, et puis elle s'en voulait aussitôt. Le pire, c'est quand elle disait des choses qu'elle ne pensait pas vraiment, comme là. Pauvre Adam. Elle s'en voulait tellement de lui avoir crié dessus... pour si peu.

Car en fin de compte, elle le comprenait. Charlie n'avait pas oublié. Elle se souvenait l'état d'inquiétude dans lequel il était en venant la chercher, traversant l'île de long en large pour la retrouver. De ça également, elle s'en voulait toujours. Sa réaction était plutôt attendue, en fait, mais l'espoir qu'elle avait fondé quant à ce qu'elle trouverait dans ces yeux ce soir là et qui s'était vu anéanti par un reproche amplement mérité l'avait touchée en plein coeur.
Naturellement et après avoir perçu le bruissement des feuilles derrière elle, Charlie senti la présence d'Adam à ses côtés. Elle releva la tête et lui sauta au cou, manquant de le faire tomber à la renverse. "Excuse moi, excuse moi! Je pensais pas c'que j'ai dit. T'es pas un emmerdeur." dit-elle en pleurant de plus belle.

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Pendue au cou d'Adam, Charlotte faisait son possible pour maîtriser les terribles sanglots qui la secouaient. Elle détestait cette sensation de trop plein et luttait contre elle. Aussi n'eut elle pas la force de répondre autrement qu'en secouant la tête. Pourquoi avait-il fallu qu'elle dise ça? Maintenant, elle craignait qu'il n'y repense à chaque fois qu'il s'inquièterait pour elle...

Faisant un gros effort pour retrouver une respiration calme, la brune se détacha du guerrier pour essuyer ses larmes, transformant au passage la terre qui maculait ses mains en trace de boue sur son visage. "Je sais... Je sais... pardon..." Répétait elle en boucle tout en reniflant bruyamment. "J'ai été méchante, pardon, pardon..." et elle posait des baisers appuyés sur sa joue entre chaque mot.
Charlotte se trouvait si mauvaise dans ces moments où plus rien d'autre ne comptait mise à part sa colère et ses ressentiments. Pourtant, elle savait bien que la volonté d'Adam n'était pas de la contraindre, mais c'était plus fort qu'elle. Ne pas vouloir l'inquiéter était une chose derrière laquelle l'australienne se cachait un peu, mais la vérité était en grande partie ailleurs et elle-même n'était pas certaine de pouvoir mettre le doigt dessus très précisément. Serait-ce son besoin vital de liberté qui parlait pour elle, son envie de se sentir indépendante? Ou bien avait elle à tout prix éviter de lui parler de cette fameuse nuit en devant justifier son envie d'apprendre à se défendre, tout en l'appréhendant également? A moins qu'inconsciemment, elle ne veuille tester l'attachement d'Adam pour elle...

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Il n'y avait pas d'animosité dans le regard d'Adam, elle n'y vit rien d'autre que ce qu'elle aimait y voir d'habitude. Qu'elle comptait. Et ça la rassura un peu quand aux regrettables paroles qu'elle avait eu. Elle réussit à esquisser un sourire après qu'il ai admit que sa démonstration l'avait impressionné, mais il fut bien bref et bien peu réjouissant.

Charlie ne savait pas quoi répondre. Elle baissa la tête. "Je sais pas trop ce qui m'arrive..." admit elle. Tout se bousculait dans sa tête et au final, voilà ce qui arrivait. Elle s'en tirait avec le coeur lourd, l'esprit embrouillé et sans réponse quant aux questions qu'elle se posait elle même. La cerise sur le gâteau, c'était Adam qui s'inquiétait, qui était déçu, encore et toujours, par sa faute. "Je crois... je crois que c'est un mélange de plusieurs choses..." Charlie essuya son visage, ajoutant un peu plus de terre sur ses joues. "Tu sais, ça s'est fait un peu comme ça... j'ai rencontré une personne qui m'a montré comment me servir d'un arc, et une qui m'a parlé des couteaux... Je pensais m'entraîner un peu dans mon coin avant de te montrer ce que j'arrivais à faire. Pour que tu t'inquiètes moins, que tu fois fier de moi, en quelque sorte... et pour me prouver que j'avais besoin de personne, que je pouvais m'endurcir. C'est puéril, je sais bien..." Elle renifla une énième fois. "J'ai toujours peur de t'inquiéter... mais j'en ai aussi marre de dépendre des autres... j'arrive pas à l'exprimer vraiment bien, pardon... Mais toute seule, je serais morte depuis longtemps, ici. Soit à cause d'une bestiole, soit... enfin, tu sais." La période où Charlie passait le plus clair de son temps à se demander ce que ça ferait de se laisser tomber du haut des remparts n'était pas si lointaine, et il lui arrivait encore de se poser la question, parfois, dans des moments d'égarement. "Je sais que tout ça, ça a pas trop de sens et que ça justifie pas bien ce que je t'ai fait... tous mes secrets... mais je sais pas quoi dire d'autre. J'ai du mal à comprendre moi-même... C'est cet endroit qui me fait ça... Mais, enfin... je crois que je cache des choses parce que j'ai besoin de me prouver que je peux m'en sortir, toute seule, et aussi... parce que j'ai peur... " dit-elle avec gravité.

La nuit tombait lentement sur le champ de millet. La lune était haut dans le ciel pleine. "Je dois t'avouer... il y a quelque chose d'autre que tu ne sais pas... C'est mon dernier secret, Adam. J'ai besoin de t'en parler depuis le début, mais tu étais tellement en colère quand tu es venu me chercher, que j'ai pas osé... Ensuite, je n'ai jamais trouvé le moment et plus le temps passait, plus j'avais peur de ta réaction. Je voulais que tu restes avec moi, au château... et je me disais qu'à force, j'arriverais à oublier, mais j'ai jamais réussi... Mais avant, il faut me promettre de ne pas te mettre en colère. Ni après moi, ni... enfin, ne te met pas en colère, s'il te plait."

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Charlie fit son possible pour écouter les paroles d'Adam qui la prenait par les épaules afin d'avoir son attention. Et ses paroles étaient sages, comme bien souvent, ce qui était rarement le cas des siennes. En cela, les deux étaient bien différents. Charlotte était un peu trop tête brûlée et rien dans son existence avant le crash ne l'avait réellement confrontée aux problèmes que cela pouvait engendrer. Bien sûr il lui était arrivé des bricoles et elle s'était attirée pas mal d'ennuis, elle et ses frères, mais par chance, rien de plus grave. Rapport à la nature australienne qu'elle connaissait bien, ici, c'était une autre affaire. Elle risquait sa vie à chaque fois qu'elle décidait de passer les portes du château.
En ce qui concernait la solitude, Charlie ne la recherchait pas à tout prix. Si ça avait été le cas dernièrement pour des raisons particulières, comme tout le monde, elle aimait se retrouver seule pour souffler, se consacrer à ce qui lui faisait plaisir... mais ça ne voulait pas dire non plus qu'elle n'avait pas aussi besoin de se sentir entourée. En fait, ça la rassurait beaucoup, tout comme entendre dans la bouche d'Adam qu'elle faisait bel et bien partie du clan consolidait ce sentiment. Parfois il lui arrivait de penser que c'était un peu comme avoir une famille, une immense famille composée essentiellement de cousins que l'on ne connait pas, mais dont on peut être sûr de la loyauté.

D'un autre côté, elle voyait bien ce qu'il voulait dire par là, ce vers quoi elle tendait avec cette attitude qui ne valait pas grand chose... Il avait raison. Ce qu'elle essayait de faire, agir dans son coin, en secret, tout faire pour se retrouver seule contre le reste du monde... c'était affreusement stupide de sa part. Ca lui avait fait du bien, et sur le moment, c'était nécessaire, mais il fallait que ça cesse, qu'elle reprenne le dessus. C'était bien ce qu'elle voulait, non? Alors il était temps. Mais avant, elle devait se décharger totalement d'un poids qu'elle traînait depuis trop longtemps, bien malgré elle. Adam était le seul qui puisse l'aider à surmonter cette histoire, qui puisse réellement la comprendre, et Charlie avait conscience qu'elle aurait du mal à guérir de ça aussi. Elle prit donc son courage à deux mains après s'être bien assurée d'avoir sa parole. Elle n'aurait pas la force de supporter des remontrances après ça.

De nouveau, elle baissa la tête, essayant de ne pas se laisser décourager par les émotions qu'elle lirait dans les yeux bleus qui la fixaient. Charlotte lui raconta donc tout depuis le début, même les passages qu'il connaissait déjà, expliquant d'où elle tenait ses blessures à la hanche, cette cicatrice qui barrait sa gorge, sans compter celles que seule Sera avait pu entrevoir sans oser rien demander. Lorsqu'elle en vint au moment où l'homme était venu la cueillir au village en pleine nuit, elle cru sentir son coeur se serrer si fort qu'il allait s'arrêter de battre, mais elle poursuivit, usant de toute la force qu'elle avait pour arriver au bout. A la fin, elle releva un visage aux traits angoissés vers lui. Elle pleurait silencieusement depuis un moment déjà lorsqu'elle lui avoua se croire franchement dérangée, une folle dangereuse, voilà ce qu'elle était. "Je l'ai tué, Adam. Je l'ai tué. Massacré. J'avais du sang partout... et..." Mais sa voix s'étrangla, il lui était parfaitement impossible de continuer dans les détails sordides qui l'envahissaient. Tout ce qu'elle voulait à présent, c'est oublier... seulement, elle ne croyait pas cela possible. Qu'elle l'accepte, peut-être, mais il y a des images qui vous marquent pour toujours.

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Dans les bras d'Adam, Charlie acheva son récit. Un récit douloureux à raconter aussi bien psychologiquement que physiquement. Les souvenirs étaient si frais qu'elle avait l'impression de les revivre sitôt qu'elle fermait les yeux. C'est ce qui lui arrivait chaque nuit avant qu'elle ne trouve le moyen de se rassurer. La pauvre Sera et sa famille avaient du supporter des nuits très agitées ces derniers temps. Plusieurs fois, elle avait quitté son lit en pleine nuit pour s'installer sous le kiosque et offrir du répit à ces gens qui tâchaient de l'aider depuis qu'elle vivait chez eux. La vie n'épargnait pas Charlotte qui, en plus de souffrir personnellement, voyait les gens qui l'entourent en pâtir d'une façon ou d'une autre.

Elle était sûre qu'il disait vrai. S'il avait survécu ce soir là et qu'Adam avait eu vent de cette histoire, il n'aurait pas fait de vieux os. Mais avec ces barbares, qui sait ce qui aurait pu se passer? Pour autant, Charlie n'avait pas tué cet homme en songeant au mal qu'il pourrait faire à autrui si elle ne saisissait pas l'occasion, ni au fait qu'Adam aurait tout fait pour lui ôter la vie sinon. Charlie avait disparu à cet instant. C'est la Rage qui s'était emparée d'elle, la transformant en une bête folle, et c'est une des choses qui l'avait choquée, sans parler de l'acte en lui-même, et de tout ce qui avait précédé.

Après un moment, elle colla son front contre son torse et se concentra sur le son de sa voix pour s'apaiser. Il sentait le sang, mais ça ne la dérangea pas. Tout ça l'avait changée, au plus profond, et fait naître de nouvelles peurs en elle, en contradiction les unes des autres. Et si tout cela finissait par la rendre folle? Elle y avait cru plus d'une fois depuis qu'elle était sur cette île, mais elle s'en était sortie malgré tout. Adam l'avait sauvée, et l'australienne savait qu'il serait là pour elle, de nouveau.
Cependant, elle avait vu la mort de très près, cette nuit là, et ça elle n'était pas prête de l'oublier.

Du temps, elle en avait eu pour penser à tout ça, et notamment à l'existence même de ce groupe d'individus. Après de longs moment à réfléchir, elle s'était dit qu'il s'agissait surement de gens totalement paumés. Des histoires comme ça, elle en avait entendu des dizaines autrefois : des personnes bien intégrées qui avaient vrillé pour une raison ou une autre et s'étaient ralliés à un type, un fou dangereux. Elle ne voyait pas d'autre explication au fait qu'ils soient inconnus au bataillon. D'après ce qu'elle avait comprit, l'île était plutôt bien surveillée par les dinotopiens. Dans ce cas précis, s'il avait s'agit d'Outsider, ils auraient été plus ou moins au courant. Et elle était presque sûre que ça n'était pas des dolphinback non plus, alors ça venait forcément de l'intérieur...
"Ici, c'est comme ailleurs... les gens sont pas meilleurs..." Les dinotopiens avaient beau faire de leur mieux avec leur code, leur morale, leur éducation, les humains ne comptaient pas que des êtres vertueux, loin de là. "Et moi non plus..." dit-elle alors que les larmes emplissaient une fois de plus les yeux qu'elle levait vers Adam.

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Contrairement à Adam, Charlie n'était pas épanouie dans sa situation. Alors oui, elle faisait désormais partie du clan, il y avait des gens qu'elle aimait, et elle s'était même trouvé un rôle à jouer. Mais en dépit de tout cela, de sa beauté, de son caractère exceptionnel, elle ne pouvait s'empêcher de détester cette île. A cause de ce qu'elle avait fait à sa famille, ce qu'elle lui avait fait vivre et le fait qu'elle était condamnée à y rester pour toujours. Si elle n'avait pas retrouvé son ami d'enfance, véritable miracle, les choses auraient été très différentes pour elle. Charlie n'aurait jamais accepté l'idée d'avoir perdu les siens et aurait absolument tout fait pour aller à leur recherche sur l'Outer Island. Si elle n'était pas morte là-bas, elle se serait sans doute tuée ensuite, et cela faisait partie du plan, considérant le fait qu'ils n'auraient jamais survécu là-bas, selon l'avis de tout le monde.
Oui, Charlie savait ce qu'elle devait à ce miracle... un miracle qui d'un autre point de vue, semblait en fait être un coup sournois de la part de l'île pour la maintenir en vie, le coeur agonisant. Elle l'avait longtemps vu de cette manière et il lui arrivait encore de le penser, lorsque son moral était au plus bas. Mais Charlie se battait et gardait l'espoir d'un jour connaître le bonheur. Etait ce possible dans ces conditions? L'avenir le lui dirait, et si pour le moment elle s'y prenait très mal, au moins, elle essayait.

Adam la disait différente... En quoi précisément? Si elle l'était, c'était en mal. Voilà ce que pensa Charlie à cet instant, mais elle ne répondit rien, préférant essuyer ses dernières larmes. Est-ce qu'un jour elle arrêterait de pleurer? Est-ce qu'un beau matin elle se réveillerait en ne se souvenant plus de quand datait son dernier cauchemar? Charlie en avait assez de ces souffrances.
Elle regarda ses phalanges couvertes de terre et découvrit avec étonnement sa peau rougie. A croire que la douleur  n'avait pas été suffisante pour qu'elle la remarque au milieu des autres. Sans y penser, elle les essuya sur ses cuisses, puis s'arrêta net, saisissant les poignets d'Adam. "Non!" Dans ses yeux, sa voix, sur son visage, la panique qu'on pouvait y lire était frappante. C'est ce qu'elle avait craint également en révélant cette information. Qu'Adam ne décide de partir en guerre contre ces sauvages. A cette heure, elle se moquait bien de peser le pour et le contre. Elle se fichait de les savoir peut-être encore en vie quelque part, faisant le mal autour d'eux. Rien de tout cela n'importait à ses yeux. "Je t'en supplie... si... il t'arrivait quelque chose... à toi ou à un autre... S'il te plaît, non... Je me le pardonnerai jamais..."  

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"J'm'en fous!" s'exclama Charlie qui, s'entendant parler, perdit aussitôt sa conviction. Comment pouvait elle dire une chose pareille? Evidemment, elle ne s'en fichais pas. Mais la terreur que tout cela lui inspirait était bien trop forte pour que son esprit raisonne correctement, comme Adam avait pu le constater. La jeune femme baissa la tête et ferma les yeux, secouant la tête à mesure qu'il parlait et priant pour qu'il finisse par lui dire qu'il allait rester avec elle, pour lui faire plaisir. Tout autre argument aussi idiot que celui-ci lui aurait convenu. Mais il n'en fut rien et elle savait qu'il était inutile d'espérer. La réaction d'Adam ne l'étonna pas et Charlotte n'essaya pas de l'en décourager davantage, résignée. Il avait raison, encore une fois. Tout ce qui la motivait elle était purement égoïste. A sa place, elle aurait eu la même réaction. Alors Charlie se contenta de lever les yeux vers lui.

"J'ai peur." souffla t elle. Submergée par toutes ses angoisses, Charlie ne savait plus laquelle combattre. Elle n'avait pas envie de sa battre et préféra lâcher prise. Son regard se perdit dans celui d'Adam avant qu'elle ne laisse son front retomber contre l'épaule de ce dernier. Espérons qu'Adam ai raison et que ce soit là le moyen de la soulager. Qu'en finir avec eux mette un point final à ses terreurs nocturnes et toutes les autres joyeusetés qui allaient avec. Elle chuchota. "Promets moi qu'il ne t'arrivera rien... Je pourrais pas le supporter..."

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Charlie hocha la tête, au comble de la tristesse. C'était surement idiot, et ça n'empêcherait pas Adam de revenir en vie si toutefois il devait se passer quelque chose, s'il devait croiser un monstre, qu'il soit humain ou pas d'ailleurs... mais sa promesse la soulagea un peu quand même. Elle savait de quoi il était capable pour l'avoir vu à l'oeuvre, et pas que sur la zone d'entraînement. Adam était un guerrier d'exception et à ses yeux et sans aucune objectivité mais avec une grande conviction, il était de loin le meilleur. Il ne lui arriverait rien et il ferait en sorte qu'il en soit de même pour ceux qui l'accompagnerait. Charlie le savait... mais l'appréhension compressait son coeur d'une main de fer. Elle espérait ne pas avoir à regretter de s'être confiée à lui sur ce point. Sur le papier, c'était la chose à faire évidemment. Mais Charlie n'était pas en mesure de mettre ses émotions de côté et continuait à prier intérieurement pour que les sauvages soient enfermés quelque part dans une grande ville à l'autre bout de l'île. "T'as entendu parler du dinosaure blanc?" La jeune femme se doutait bien que la rumeur avait du faire son bout de chemin du côté des guerriers, mais elle voulait s'en assurer, juste au cas où, car depuis quelque temps, ce monstre là prenait de plus en plus de place dans son esprit. A croire que lorsqu'elle parvenait à en chasser un, un second prenait immédiatement sa place.

Au loin, on pouvait entendre un groupe d'enfants jouer bruyamment. Le vent se levait lentement, glissant entre les branches de millet en créant cette musique que Charlie aimait tant, tout comme elle adorait la luminosité si spéciale, lorsque le soleil disparaissait à l'horizon et teintait le monde d'une couleur chatoyante, rassurante. Avec un bout de vêtement, elle s'essuya les joues en se promettant de ne plus pleurer et releva la tête pour observer autour d'eux la beauté de la scène qui certes n'avait rien de nouveau, mais dont elle ne se lasserait jamais. Elle eut un profond soupire. "J'aime beaucoup cet endroit." Elle n'osait plus tellement traîner si tard toute seule, de peur de se faire surprendre par la nuit et de devoir rentrer la coeur battant chez Sera, tout comme elle avait souvent été absente au banquet ces derniers temps, mais avec Adam près d'elle, Charlie ne craignait plus rien. "Tu veux bien rester avec moi jusqu'au coucher du soleil?"

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Un écailleux comme un autre... Charlie n'en était pas si sûre. Si elle n'avait pas eu l'information de la part de Morrigan et qu'elle n'avait pas constaté l'effroi dans le récit de l'archère, elle aurait surement été d'accord avec Adam... Quoi qu'il en soit, elle se contenta de hocher la tête. Au moins, il savait. Elle n'en demandait pas davantage.

Le paysage et la sérénité des lieux tranchaient avec les émotions qu'avait eu Charlie. Alors que des vagues de larmes menaçaient de faire surface et qu'elle faisait son possible pour les maîtriser, la jeune femme observait l'horizon en inspirant profondément. Elle espérait qu'un jour prochain, toutes ces histoires sembleraient si loin derrière. Qu'un jour, elle aurait oublié le visage de cet homme, celui des villageois effrayés à son passage, et tous les sentiments et les angoisses terribles qui allaient avec. Charlie était une personne au caractère fort, mais cette île n'avait de cesse de la malmener et face à elle, elle n'était pas sûre de gagner. Il lui fallait trouver la résilience, et Adam serait là pour la soutenir.

Côte à côte, les deux outsiders profitaient de l'instant en silence. Charlie posa sa tête sur l'épaule d'Adam, se moquant de l'odeur sanguine qu'elle percevait parfois. Après un long moment, le soleil disparut enfin. En guise d'au revoir, ses dernières lueurs qui tentaient le ciel de rose, d'orange. Puis ce fut le tour des étoiles d'apparaître. S'il y avait bien une chose qu'elle ne pouvait pas enlever à l'île, c'était son ciel étoilé, pur et scintillant.

Les cris des enfants avaient disparus en même temps que la nuit était tombée. Plus loin dans l'enceinte du château, des lumières s'étaient allumées et la rumeur des conversations parvint jusqu'à eux. Le banquet allait bientôt commencer. Charlotte se redressa, frottant ses vêtements pour enlever les grains de millets et autres brindilles qui s'y étaient accrochés, puis elle tendit la main à Adam. "Tu viens?" Elle n'avait ni faim, ni particulièrement envie de s'y rendre, mais elle savait que se changer les idées serait une bonne chose.

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Chapeau de paille et bottes de cuir

Charlotte sourit lorsqu'Adam attrapa la main qu'elle lui tendait et décida de ne plus la lâcher et d'ainsi prolonger cette proximité rassurante aussi longtemps que possible. Leur conversation avait été difficile et la jeune femme, aidée par l'environnement et la présence du guerrier avait réussi à s'apaiser, au moins assez pour envisager de se mêler aux autres membres du clan. Elle espérait que son visage ne porte pas de manière trop évidente les traces de ses émotions, mais avançait tout de même vers l'agitation, quittant les champs pour retrouver le sentier.

"Hm?" Charlotte était prise au dépourvu et relativement étonnée qu'Adam puisse l'imaginer au combat. Flattée dans un sens. "Oh euh, non." L'intonation de sa voix ne laissait aucun doute, ça n'était pas dans ses plans, ni proches ni lointains. "J'aime beaucoup mon travail." affirma la brune qui senti son coeur se réchauffer un peu. Elle adorait ce qu'elle faisait. C'était ce qui l'avait en partie sauvée, ainsi qu'aidée à s'intégrer aux Outsider. Elle s'y sentait toujours bien, en sécurité, et se savait utile à la communauté. Il y avait aussi d'autres aspects qui lui plaisaient, comme le fait qu'elle apprenait de nouvelles choses quotidiennement, qu'elle pouvait observer le fruit de son travail et qu'en quelque sorte, en cultivant ces plantes, elle avait l'impression de maîtriser quelque chose. Pourquoi voudrait elle en changer? "J'aimerais bien être avec toi tout le temps, mais la chasse... c'est pas mon truc." Et en l'occurrence, Adam l'avait surement comprit en découvrant son amitié avec Xyria. Il avait surement également noté le fait que Charlotte ne s'intéressait jamais aux prises des chasseurs et qu'elle ne consommait leur viande que très occasionnellement, parce qu'on la servait sans qu'elle n'ai rien à demander principalement. "Mais j'aimerais quand même que tu me donnes des conseils, de temps en temps... si tu veux bien..?"

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