[Terminé] Une idée folle

Une idée folle

L’université de Chandara, me revoilà enfin entre ces murs si impressionnants. La dernière fois, c' était lorsque je suis venu à la rencontre du professeur Pastel Absolem il y a déjà une année. Le temps passe à une vitesse hallucinante. J’ai hâte de suivre quelques cours à nouveau, cette fois bien plus qu’en simple auditeur libre et pouvoir faire valoir mon savoir et mon savoir-faire ici pour y être reconnu. Mais ce n’est pas pour cette raison que je suis ici aujourd’hui, mais bien pour aller à la rencontre de Céran, le disciple de Rukon.

Je suis content d’avoir réussi à convaincre le vieux diplomate retraité de transmettre son savoir, ne serait-ce que pour que tout ne soit pas perdu à tout jamais. Le savoir est une chose à chérir et préserver et les roches solaires ne seront pas éternelles, pas plus que leur quantité ne peut être illimitée. Si on laisse ce savoir-faire totalement disparaître de l’île, un jour, tout sera simplement perdu et Dinotopia sombrera dans le chaos en devant affronter les carnivores qui se déchaîneront sans aucune chance de réconciliation possible.
On pourrait se dire que le chaos est déjà en train de se répandre partout à travers l’île sans que nous ne puissions y faire quoi que ce soit. De nouvelles attaques ont été rapportées ça et là alors que les roches solaires étaient présentes et éclatantes.

J’ai décidé de consacrer mon jour de repos et de permission à l’hacienda pour me rendre à Chandara après avoir envoyé une perruche à Céran dans le but de lui annoncer ma venue aujourd’hui. Je ne tarde pas à me faire aiguiller vers ce dernier et découvre le protocératops en train de m’attendre sans doute.

Kai ▬ Paix de l’âme. Je suis Kai Awana, c’est moi qui vous ai demandé si nous pouvions nous rencontrer aujourd’hui. Je… je tenais à vous présenter mes condoléances pour votre mentor.    

Une idée folle

Le jeune protocératops est bien amical en me pointant du museau une chaise afin que je puisse m’y asseoir. Je n’hésite pas un seul instant et pose mes fesses sur la chaise en question et fait face à celui qui a bien voulu me recevoir. Je suis assez touché par les mots qu’il a pour moi en me disant que son mentor avait toujours eu de belles paroles pour moi. Je ne l’aurai jamais pensé avant de l’entendre de vive voix.

Kai ▬ Du bien de moi ? Vraiment ? Ahah et dire que nous ne nous sommes vus qu'une fois. C’était un sacré personnage et je dois dire que je n'oublierai jamais notre rencontre. J’ai été vraiment très peiné d’apprendre son départ pour la Grande Vallée, mais aussi très heureux d’apprendre qu’il vous avait trouvé comme disciple.

La perruche qui m’a apporté la triste nouvelle pourrait en être témoin, mais j’ai pleuré à la réception du message provenant de l’alter-ego de Rukon. La disparition d’un espoir vivant, laissant tout de même derrière lui une flamme encore frêle, mais qui peut tant de choses encore.

Kai ▬ C’est moi qui suis honoré de vous rencontrer à Céran. J’ai été si heureux de savoir que quelqu’un avait appris la langue des carnivores et pourrait relancer l’art noble de la diplomatie avec ces derniers.

Enfin, je ne voudrais pas vous mettre trop de pression sur les épaules. Je suppose que la tâche est déjà assez effrayante comme ça.

Je sors de mon sac quelques effets, notamment mon cahier de recherche et de croquis. Je le feuillette rapidement, m’arrêtant un instant sur le dessin que j’ai fait de Rukon dans le bus qui me ramenait de ma rencontre avec lui. Je l’ai représenté allongé sous l’arbre où nous nous sommes rencontrés, mais bien droit et digne, comme le noble diplomate qu’il était. Puis je feuillette encore quelques pages avant de m’arrêter sur les pages aux dessins récurrents qui représentent une femelle baryonyx que j’ai observé de nombreuses fois et qui était présente lors de l’attaque du village.

Kai ▬ Je sais que c’est sans doute prématuré, mais je voulais à tout prix vous parler de quelque chose. Des attaques qui ont lieu de plus en plus fréquemment à travers l’île. Est-ce que le sujet vous embête ?

Une idée folle

Il a raison, une seule fois suffit à ce que sa disparition m’émeut autant que visiblement il sembla me porter en estime. C’est une chose parfois bien étrange que les liens entre les individus. Il faut parfois des décennies pour connaître des gens et les estimer, mais d’autres fois cela arrive en un instant, une rencontre aussi brève qu’une conversation. Rukon était un vieux diplomate et ma folie a suffit à lui redonner foi dans son ancienne profession, reléguée à l’ombre après la découverte des roches solaires.

Kai ▬ Il semblerait bien en effet.

Je vois bien à la posture du saurien et la façon de répondre à mes suppositions qu’il éprouve déjà la pesanteur de la tâche qui est la sienne. Est-ce qu’il sera à la hauteur de la confiance de Rukon ? C’est sans doute une idée qui lui traverse l’esprit. S’il est ici, c’est sans doute pour se plonger dans les écrits des anciens diplomates et apprendre l’art subtile de la politique avec les carnivores. Ce sont des choses qui vont sans doute prendre des années avant qu’il ne soit capable de dialoguer au nom des dinotopiens avec des carnivores qui feront office d’intermédiaires pour tous leurs congénères.

Kai ▬ Je suis content d’apprendre qu’on m’a bien informé. Peut-être même que vous trouverez d’autres protocératops à qui apprendre la langue des carnivores. C’est ce que je vous souhaite en tout cas.

Ce serait assez admirable que plusieurs protocératops se joignent à Céran et qu’à son tour il leur apprenne la langue des carnivores. Ce serait même peut être pour le mieux. Il se sentirait moins seul et ce seraient ensemble qu’ils pourraient essayer de se plonger dans les récits des anciens diplomates et fonder un nouveau groupe partageant ce savoir.

Céran a raison. Le sujet est tout sauf évident à éviter en ville en ce moment et peu importe la ville. Les nouvelles vont bon train. Nul doute que tout le monde est sur les nerfs maintenant à l’idée de se déplacer à cause de ces histoires de carnivores.

Kai ▬ Je ne sais pas. Je crois que seuls les dieux peuvent dire si nous courons un si grand danger, mais j’aimerai en avoir le cœur net et c’est pour ça que j’ai voulu vous rencontrer. J’ai eu une idée folle… aussi folle que celle qui m’a conduit à Rukon pour le rencontrer.

Une idée folle

Céran semble quelque peu sur la réserve et je comprends bien son avis. Je suis d’une nature très optimiste il faut dire et je ne doute pas qu’apprendre une langue comme celle des carnivores n’est pas une chose aisée, même pour un protocératops ayant la volonté d’apprendre. Mais s’il s’avère qu’il soit le seul à en avoir eu le désir sincère, alors nous avons en effet un problème. Tout l’espoir de préserver ce savoir repose sur Céran tant qu’il ne trouve pas d’autres congénères pour apprendre la langue et partager son fardeau.

Kai ▬ J’espère que vous pourrez partager votre fardeau avec d’autres de vos congénères Céran. Je voudrais pas que vous ayez à porter seul le poids de cette tâche de préservation de ce savoir ancien.

Il s’avère que si cette première étape est déjà une avancée considérable, il se peut que la prochaine ne sera pas aussi simple. Il est le seul à avoir répondu à l’annonce de Rukon, ce qui veut sans doute dire que peu de protocératops sont enclin à apprendre. En soit, j’espère que les rumeurs de roches solaires qui ne fonctionnent plus contre les carnivores vont motiver certains qui auraient été indécis au moment de l’annonce à trouver Céran pour qu’il leur apprenne à parler la langue des carnivores.

La pensée de Othar en personne ? Ce sont les mots qui s'échappent de la bouche de Céran, sans doute quelque chose qui lui échappe à voix haute. Est-ce que c’est lui qui est derrière tout ça ? Aucune idée et je suis bien incapable de dire si c’est bien lui.

Kai ▬ Je n’ai pas la prétention de dire que je comprends le ou les dieux de Dinotopia encore. Si c’est Ogthar qui est derrière tout ça, j’aimerai en tout cas avoir une idée de ce qu’il se passe.

Je lui désigne la baryonyx en dessin qui se trouve sur les pages ouvertes du cahier que j’ai sorti avant de reprendre la parole.

Kai ▬ Cette baryonyx faisait partie du groupe qui a attaqué il y a plusieurs mois de ça. C'était la première attaque de carnivores d’un village depuis longtemps de ce que j’ai compris. Je l’ai observé par le passé et je sais qu’elle est d’ordinaire plutôt solitaire. Est-ce que vous accepteriez de venir avec moi, et sans doute des gardiens pour aller à sa rencontre et lui tenter de lui demander pour quelle raison elle et ses congénères ont attaqué ?

Ils n’avaient aucune raison de faire ça. Avant leur attaque la roche solaire marchait et ils attaquaient quand même. Ce n’est que pendant l’attaque qu’elle a commencé à faiblir. Et bien qu’ils soient partis lorsqu’une nouvelle fut mise en place, je ne cesse de me demander ce qui peut se cacher derrière leur attaque.

Mais je comprendrais que vous refusez.

Une idée folle

Le saurien affiche une mine tout à fait surpris par la requête que je porte à son attention, mais cela n’a rien d’étonnant. Qui à Dinotopia veut volontairement entrer en contact avec un carnivore après tout. Tout ce qui est demandé, c’est de les laisser tranquille et de ne pas les déranger sur leur territoire. Il se trouve cependant que bon nombre de carnivores ont des territoires personnels qui débordent quelque peu et les pousses dans des coins que les dinotopiens arpentent. Il n’y aurait sinon aucun risque à aller de part et d’autre de l’île. S’il est défendu de se rendre dans certaines régions très précises et ça, je me suis fait un point d’honneur de ne jamais transgresser ces limites, j’ai pu observer dans leur milieu naturel des carnivores assez facilement, hors de ces limites.

Kai ▬ Il est interdit dans certains endroits c’est exact. Mais les territoires des carnivores bougent légèrement et dépassent les interdits qui ont été fixés jadis, sans quoi il n’y aurait jamais de soucis à voyager. Je sais qu’elle vient pêcher dans des eaux poissonneuses hors de territoire interdit.

Mais ce qui troubla un peu plus ma réflexion, c’est bien la question première qu’a eu Céran. Pourquoi elle en particulier ? Franchement je ne suis pas certain de quoi lui répondre. La première fois que je l’ai vu, c’est en remontant une série d’empreintes sur le bord de la rivière que j’arpentais en récoltant quelques plantes aquatiques. Puis une autre fois alors que je me réveillais dans un arbre m’ayant servi d’abri pour la nuit. Et puis ensuite à chaque fois que je repassais à proximité, je m’arrêtais pour essayer de la voir, observant sa technique à la pêche, sa grande patience lorsqu’elle restait de très longues minutes la gueule ouverte dans l’eau à atteindre qu’un poisson passe. Mais dernières, c’était l’attaque qui m’a laissé le souvenir le plus impérissable d’elle et l’envie de la revoir. Il faut que je sache pourquoi elle s’est décidé à attaquer Bonabba, elle qui semblait pourtant avoir une existence tranquille.

Kai ▬ Je… je ne sais pas trop en ce qui la concerne elle. Je sais où la trouver. Mais je ne sais pas si elle répondra. Et encore moins si cela vous intéresse d’essayer.

Une idée folle

La tâche d'ambassadeur est très risquée avec les carnivores car cela peut dégénérer facilement et il est évident que les protocératops sont de parfait candidats pour cela, bien au delà de leur faculté à imiter tout un tas de sons et de voix. Un baryonyx isolé ne devrait pas poser de soucis pour Céran qui devrait pouvoir gérer sans problème si cela se corsait, mais il n’y a pas de raison pour que cela arrive à ce niveau de dangerosité, du moins je l’espère.

Céran n’a pas l’air des plus sûr de lui vis à vis de l’idée d’aller voir un carnivore pour lui parler et songe même au fait qu’il puisse empirer les choses. J’affiche donc un sourire convaincant et convaincu.

Kai ▬ Je comprends votre inquiétude. Mais je ne pense pas que la situation puisse empirer en allant parler à un carnivore isolé.

En outre, je songe également que ce genre de choses ne devraient pas être tenues secrètes et il faudra en parler aux gardiens pour qu’un ou deux d’entre eux nous accompagne, tout en ayant l’avale de l’université de Chandara pour qu’elle cautionne cette tentative sur le terrain d’une prise contact avec un carnivore.

Kai ▬ De toute façon, il nous faudrait sûrement de l’aide extérieur. Des gardiens et peut-être même un professeur reconnu de l’université. Peut-être un linguiste. Nous n’irions pas seuls, et nous pourrons demander l’avis de gens avisés. Si cela vous rassure.

Une idée folle

Il va sans dire que Céran est plus précieux que tout. Maintenant que Rukon a disparu, il est le tout dernier protocératops à maîtriser la langue des carnivores. De fait, même s’il n’est pas encore un véritable diplomate et qu’il lui faudra des années pour se former, il ne faut pas qu’il lui arrive quoi que ce soit avant qu’il ne transmette à d’autre saurien le savoir de la langue des carnivores.
A moins qu’on ne trouve également un moyen de garder en mémoire les enseignements oraux… Passionnés de musique comme le sont les dinotopien, il est presque surprenant que je ne me sois pas posé la question avant de leur capacité à fabriquer des disques et tourne-disques.

Le fait est qu’il est surpris de ma suggestion de prendre avec nous un professeur. Il est vrai qu’un linguiste n’est pas le mieux, mais je voyais mal un autre professeur pour encadrer ce genre de volonté de prendre contact avec des carnivores. Peut-être le professeur Absolem, mais il semble très pris.

Kai ▬ Je vous avoue que j’émets l’idée d’un professeur pour trouver une sorte de validation de la part de l’université de Chandara. Mais si vous pouvez vous en dispenser, alors c’est parfait.

Ce qui est sûr c’est que si Céran peut se passer de l’avale de l’université pour me suivre dans cette entreprise bien périlleuse, alors ce n’est pas plus mal. Moins nous aurons à devoir demander l’autorisation à des gens, mieux ce sera.

Quand le saurien accepte ma demande en fin de compte, je suis soulagé, car je n’étais sûr du succès de mon voyage jusqu’à Chandara.

Kai ▬ A la bonne heure ! Je suis ravi que vous acceptiez ! Si vous voulez, je m’occupe de tout et je vous recontacte lorsque j’ai l’aval des gardiens pour l’escorte ?

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Céran n’est sûrement pas à Chandara depuis très longtemps à en juger par sa réponse extrêmement franche sur la nécessité ou non d’avoir l’aval de l’université pour faire quoi que ce soit. Cela m’amuse, car il me rappelle un peu moi-même des années auparavant lorsque j’ai pris mon premier post après l’obtention de mon doctorat de biologie. Impossible de vraiment savoir ce que j’avais le droit de faire ou non dans le cadre de mes missions. Je me souviens avoir reçu un appel du doyen de l’université totalement excédé de ne pas avoir réussi à me joindre pendant deux semaines alors que visiblement j’aurais dû donner quelques cours à des premières années. Manque de chance pour lui, j’étais au milieu de la jungle sur les traces d’une femelle anaconda.

Kai ▬Eh bien nous verrons bien si les autorités de l’université ont quelque chose à dire sur votre départ ahahah

Je préfère laisser ma joie éclater en un rire amusé et franc. Cela détend l’atmosphère d’un coup et je pense que ma joie et mon humour sont communicatifs et ne manqueront pas de faire tomber le stress de Céran. La conversation depuis le début est sérieuse, étant liée à un sujet terriblement lourd pouvant impliquer de sombres événements encore à venir.

Kai ▬ C’est donc parfait. Céran, je vous recontacterai très vite. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Paix de l’âme à vous !

Je ne tiens pas à prendre plus de temps que nécessaire. Le saurien a déjà été bien gentil d’accepter de me rencontrer pendant ses journées d’études intensives et je ne veux pas l’accaparer plus que de raison. Nous aurons tout le temps du monde de parler de Rukon plus longuement lorsque nous nous reverrons.