[Terminé] Qui va là ? (Charlotte)

"Peut-être... s'ils sont là-bas.... pour les revoir une dernière fois... les enterrer."

Ces deux mots, elle les avait tourné et retourné dans sa tête
Mais une fois prononcés, ils devenaient plus vrais encore. Et ça enclencha une nouvelle crise de pleures. Les larmes se mirent à s'accumuler dangereusement au bord de ses paupières, puis se mirent à couler tel un torrent sur ses joues, jusqu'à venir s'écraser au sol. Étouffant un puissant sanglot, elle enfouit son visage dans ses mains et bascula en avant, pour se recroqueviller sur elle-même.

Plus rien n'existait autour d'elle. Charlie se refermait sur elle-même, se laissant emporter par ses émotions. Elle avait l'impression de se noyer, de couler dans les sombres profondeurs de son âme. Des recoins que jamais elle n'avait exploré et qui l'angoissaient.

Ces émotions, elle aurait voulu les contenir. C'était une façon de se protéger, elle détestait se sentie vulnérable. Mais là, c'était beaucoup trop pour elle. Elle implosait. Si ni cette île, ni l'Outer Island ne venait à bout d'elle, alors elle mourrait de chagrin. À cet instant, c'était une certitude.

Ses sanglots finirent par trouver une fin, alors même que ça semblait impossible. Mais depuis qu'elle avait mis les pieds sur cette île, tout ce qui autrefois lui paraissait impossible, invraisemblable, ne l'était plus. Sa famille morte au grand complet, excepté elle, c'était quelque chose d'inimaginable il y a encore peu de temps. Il en allait de même pour la nature même de cette île mystérieuse, préservée du reste du monde, et de ses mystérieuses lois. Et les dinosaures, avec ça. Oui, ici toute chose était possible, surtout les plus effroyables.
Alors, non, ça n'était pas une bonne idée. Evidemment que non, mais c'était bien là la seule chose qui lui venait en tête. La seule chose un tant soit peu sensée qu'elle pouvait faire désormais.

Elle releva les yeux vers Adam, lui montrant un visage passablement rougi par les larmes salées et marqué par la douleur intense qu'elle endurait.

"T'en es sûr?"

Par là, elle entendait, vraiment sûr. S'il y avait ne serait-ce qu'une infime chance qu'elle puisse retrouver les dépouilles des siens, alors elle devait y aller. Quoi qu'on en dise, peu importe les probabilités, la raison, rien n'était jamais sûr à cent pour cent. Jamais cette idée ne lui sortirait de la tête. Elle y penserait nuit et jour, à s'en rendre malade. Elle était comme ça Charlie, elle avait toujours été ainsi. Téméraire, limite obsessionnelle. Et lorsque ça touchait sa famille, c'était d'autant plus vrai.

"J'irais." dit-elle simplement.

C'était un point final. Elle n'en démordrait pas, quoi qu'en dise Adam. Peu importe ses arguments, ses doutes, ses propres peurs. Charlotte irait. Elle s'en fit la promesse.

Elle laissa Adam essuyer les larmes sur ses joues. Un geste tendre et compatissant qui gomma légèrement sa peine, l'espace d'un instant. Même si le liquide salé avait finit de couler, au bord de ses yeux subsistaient toujours les reliques de ces dernières, prêtes à resurgir au moindre laissé aller.

"J'aurais dû mourir il y a bien longtemps déjà".

Elle avait murmuré ça pour elle même. Oui, tout ce que Corben aurait dû retrouver ce jour là sur la plage, c'était un corps inerte. Ça lui aurait évité bien des souffrances. Elle aurait également dû mourir dans les marais, avant que Xyria ne tombe sur elle. Mais le sort semblait s'acharner sur elle.

Adam avait raison, évidemment. Mais la raison n'était pas le mot d'ordre du jour. Les sentiments avait prit le dessus, comme c'était souvent le cas chez Charlie. Heureusement, pour l'heure, elle n'était pas en capacité de partir où que ce soit. Cela remettait donc ses projets à plus tard, alors, peut-être qu'elle aurait retrouvé un semblant de raison. Mais avec elle, rien n'était couru d'avance.

"Je connais quelqu'un..." elle renifla, toujours secouée de ces sanglots désormais dénués de larmes, "... je n'aurais qu'à survoler la zone."

Karl lui avait dit qu'il pourrait la mettre en contact avec cette fameuse personne. Mais elle ne se contenterait pas de survoler les plages, comme elle venait de le dire. Elle se rendrait également au village pour demander directement à ses habitants s'ils avaient recueillit qui que ce soit, vivant ou non. Là encore, elle ne se faisait aucune illusion, mais sa décision était prise.

"J'irais, Adam. J'irais." répéta t elle comme pour se convaincre elle même que c'était la seule chose à faire.

Le silence ne dura pas bien longtemps. Seulement celui nécessaire à ce qu'Adam trouve les mots pour énoncer clairement son point de vue.

"Après?"

Charlie n'entrevoyait aucun "après". Après, après, quoi? Il n'y avait rien pour elle ici. Aucune perspective qui puisse la retenir, dans cette vie, dans ce monde dont elle était prisonnière. Tout n'était que malheur depuis qu'elle avait prit cet avion. Elle ferma les yeux, se remémorant soudainement la scène d'avant le crash. Le regard de ses parents, cette peur intense qu'elle n'oublierait jamais. Et leurs mains, toutes jointes. Les masques qui tombaient, trop tard. Cette peur effroyable, c'était son dernier souvenir d'eux. Un souvenir éternel qui ne manquait pas de la hanter chaque nuit. Comment vivre dans ces conditions? Envisager l'avenir?

Elle rouvrit les yeux pour scruter Adam. Ce qui lui dit lui fait l'effet d'un coup de massue. Elle se rappela leur amitié d'autrefois. Elle se souvint de Jason également, à qui elle avait fait des promesses. De toutes ces personnes qui avaient prit soin d'elle également... Pouvait-elle réellement leur tourner le dos, à présent?
Charlie se leva, redressant péniblement son dos courbé pendant trop longtemps, puis enlaça une nouvelle fois Adam. Tout n'était que chaos en elle. Mais quelque part, au creux de tout ça, derrière toutes ses peines, un infime éclat était né. Elle n'en avait pas conscience, mais c'est ce qui la poussait dans les bras du jeune homme. Car malgré ses funestes projets, elle non plus n'avait pas envie de le quitter.

Depuis son arrivée sur l'île, le drame et toutes les horreurs qui se succédaient les unes après les autres sans lui laisser le moindre répit, c'était la seule et unique fois qu'elle se sentait réellement comprise. Bien sûr, Jason avait vécu la même chose qu'elle, à peu de choses près. Tous deux s'étaient bien trouvés, finalement, et ils s'étaient plus ou moins implicitement entendu pour mettre de côté les sujets fâcheux. L'idée était de profiter du moment pour ce qu'il était, rien de plus.

Mais avec Adam, c'était différent. Plus profond. Ils avaient un passé en commun et même si le temps était passé, ils se connaissaient. Sa compassion sonnait juste à ses oreilles. L'impact de ses mots était plus fort. Elle ressera son étreinte.

"Bien sûr que si."

Aucun "mais" ne suivit. Il n'y avait rien à ajouter. A quoi bon lui dire que c'était plus fort qu'elle? Il ne l'accepterait sans doute pas. Elle-même n'était sûre de rien. Charlie ne savait pas si sa détermination tiendrait longtemps... si elle tiendrait longtemps tout court. Pourquoi se battre ? Pourquoi se battre lorsque la vie vous tendait la main  de nouveau? Elle ne savait plus quoi penser. Quoi dire ni quoi faire. Tout aurait été plus simple s'ils ne s'étaient jamais retrouvés. Si elle avait péri sur la plage.
Le fait est qu'ils s'étaient retrouvé. Que dans tout ce chaos, il apparaissait comme une lumière. Une lumière tremblotante, voilée par une ombre sinistre, mais présente. Une fois encore, elle avait l'impression de virer folle. Toutes ses idées se mélangeaient, s'entrechoquaient sans toutefois réussir à trouver un sens commun , un point sur lequel s'accordait. Ce qu'elle savait en revanche, c'est qu'Adam était là, contre elle. Bel et bien vivant.

Troublée oui, c'était le moins que l'on puisse dire. Si physiquement ça n'avait rien de glorieux, entre ses yeux gonflés, ses cheveux en bataille et parsemés de choses d'autres en passant par ses vêtements tachés de terre et de sang, autant dire que son état mental était au minimum pitoyable. Adam voyait clair dans les yeux de la brune : elle était à bout. Toutes ses décisions s'en trouvaient donc faussées. Elle était incapable de raisonner correctement, quoi qu'en temps normal, la plupart de ses idées n'étaient pas forcément raisonnables.

Elle hocha la tête lorsqu'il lui proposa de rester. De toute façon, en admettant qu'elle ai eu envie de quitter cet endroit pour retourner vadrouiller dans les marais et que Adam l'ai laissé faire, elle n'avait nulle part où aller et ça n'était certainement pas dans cet état qu'elle pouvait espérer faire trois pas dehors sans s'effondrer. C'était tout juste si elle avait la force de tenir debout.

Elle n'avait pas la moindre idée de qui était cet Alderic dont il parlait, mais elle avait toute confiance en Adam. Demain, elle aurait sûrement oublié son nom, alors elle ne chercha ni à le retenir, ni à poser de question. En ce qui la concernait, elle dépendait seulement de son ami et de sa bonne volonté. Pour le moment, le reste n'existait pas. Charlie se traînerait donc là où on la mènerait, tel un spectre, vide de son énergie, sans aucune volonté. Un vrai zombie qui, sans son guide, sans soutient, aurait fini par errer puis, dépérir.

"D'accord."

C'est tout ce qu'elle réussi à articuler. Charlie avait les yeux mi-clos, prête à quitter la réalité dès qu'elle en aurait l'opportunité. Son corps aussi accusait le coup. Plus le temps passait, plus ses pieds devenaient douloureux. Son mollet, bien que Xyria ai fait le nécessaire pour la soigner et accélérer la cicatrisation, lui faisait mal également. Comme si autour de la cicatrice en devenir, un bleu se préparait. Rien de grave si on considérait le contexte et toutes les fois où elle avait échappé à la mort. Mais elle était épuisée.

Adam la porta dans ses bras, comme il l'aurait fait pour une enfant, et avec autant de facilité. Sa tête reposait contre lui, les yeux clos, en espérant ainsi atténuer le flot de ses pensées. Oui, clairement, si Adam n'avait pas été là pour prendre soin d'elle, la jeune femme se serait simplement laisser dépérir, errant jusqu'à trouver une fin quelconque. Etait-ce là un cadeau du destin? Tout ça semblait bien ironique en fin de compte. On lui retirait tout ce qui lui était cher, tout en lui donnant suffisamment en retour pour la maintenir en vie, être sûr qu'elle souffre encore et encore.

Le lit sur lequel il la déposa était modeste, tout comme le reste de la pièce d'ailleurs. Rien à voir avec ce qu'elle avait pu voir lorsque Sany l'avait recueillit, par exemple. Mais c'était suffisant pour elle et à vrai dire, elle se sentait bien plus à son aide ici. Ca lui ressemblait davantage. Elle se tourna sur le côté, préférant une position fœtale pour ne pas brusquer ses muscles engourdis et ses membres douloureux. C'était aussi une façon de se préserver du reste du monde, de recréer une sorte de cocon où peut-être, elle aurait la chance de trouver le sommeil et avec de la chance, de s'apaiser un peu. A présent, elle se rendait compte de la rudesse de son voyage depuis le Temple, et l'impact qu'avait eu sur son dos cette nuit dehors sur un simple matelas de feuilles. Elle mettrait du temps avant de se remettre, physiquement comme émotionnellement, ça ne faisait aucun doute.

Elle n'observa pas davantage les alentours. Tout ce qu'elle voulait à présent, c'était fermer les yeux et ne plus penser à rien. Néanmoins, elle lança un dernier regard à Adam, usant de ses dernières forces pour lui répondre. Même si son dernier repas avait été plus que maigre et que son estomac ne tournait plus qu'avec une pomme et un peu d'eau depuis environs vingt quatre heures, elle n'avait ni faim, ni soif. Ca la dégoûtait même, rien que d'y penser. En elle, tout était noué serré.

"Non, merci."

Après ces dernières paroles, ce dernier souffle, Charlie s'éteignit. La fatigue avait eu raison d'elle.