[Terminé] Ce n'était pas un rêve (Charlotte)

Charlotte se recula, satisfaite d'avoir fait ça pour l'homme. Ce n'était rien, mais assez pour qu'elle se sente un peu mieux. En revanche, elle le savait mais n'en dit rien, elle serait redevable de ce qu'avait fait Wymer et Adam. Et d'une quelconque manière, elle rembourserait cette dette.

"De rien."

Wymer semblait lire en elle. Sa main sur son épaule rendit la tâche à Charlie encore plus difficile. Comme la veille, elle eut envie de craquer dans les bras du vieil homme compatissant, mais elle ravala cette pulsion et son regard tomba pudiquement sur le sol. Pas facile, c'était un euphémisme. Et pourtant, ses mots lui parurent bien moins creux que tous ceux qu'on avait pu lui adresser jusque là, à l'exception d'Adam. Là encore, d'une certaine manière, elle se sentait comprise et la peine qu'elle ressentait ne s'en voyait que décuplée.

"Je... je dois y aller."

S'enfuir. C'était la seule solution que Charlotte ai trouvé pour ne pas fondre en larme devant Wymer. D'un pas presque paniqué, elle quitta la chambre, laissant en plan le vieil homme qui, quelques secondes plus tôt, posait sa large main sur sa frêle épaule.
Arrivée dans le couloir, elle se mit à courir. Les larmes montaient, elle ne pouvait plus rien contre. Bifurquant à droite, puis à gauche, elle se trouva un coin désert ou laisser aller sa tristesse. Charlie se laissa glisser contre un mur, entourant ses genoux de ses mains pour y cacher son visage et retenir ses sanglots qui avaient finit par trouver la brèche.

Il fallu attendre longtemps pour que Charlie sèche enfin ses dernières larmes. Après tout ce temps recroquevillée contre le mur froid qui l'avait protégée des regards indiscrets, la jeune femme s'était finalement levée, déverrouillant difficilement ses jambes. Elle passa plusieurs fois ses doigts sur son visage, tentant d'effacer les marques de ses pleurs. Ses pas hasardeux la menèrent sur les remparts. Là haut, elle pouvait prendre l'air en espérant que ses yeux dégonfleraient un peu par la même occasion, tout en restant à l'abri des regards. Elle erra un moment, sans but, observant le paysage autour d'elle. Les marais n'étaient pas loin, elle pouvait reconnaître ces arbres eux troncs tortueux qui les avait abritées, elle et Xyria, des prédateurs les plus féroces. Là haut, personne n'avait remarqué sa présence, mais elle ne savait pas vraiment si cette solitude lui faisait plus de bien que de mal. Autrefois, elle appréciait se retrouver avec elle-même. Mais cette fois, la situation était particulièrement difficile et elle ruminait sans cesse. Pas sûr que laisser son esprit s'embourber ainsi lui soit d'une grande aide.
Charlie s'accouda au bord d'un large créneau et ferma les yeux un instant, laissa le vent emporter ses cheveux avec lui. Se vider la tête, c'est de ça dont elle avait besoin. Malheureusement, aucune brise n'y parvint. Elle rouvrit les yeux et regarda en contrebas. La hauteur était hypnotisante et le sol semblait lui tendre les bras. Après tout, elle n'aurait qu'à se hisser sur les pierres. Oui, c'était si simple comme solution. Au moment on son crâne rencontrerait la terre ferme, ses souffrances s'envoleraient comme par magie. Cette image l’apaisait. Plus de peine, plus de colère. Charlotte avait le courage nécessaire pour le faire. La jeune femme s’essaya sur le créneau, laissant ses jambes pendre dans le vide et sa tête reposer sur le merlon. Oui, c'était tentant.
Et pourtant, elle n'en fit rien. Une seule et unique chose la retenait parmi les vivants : Adam et l'objectif qu'elle s'était fixée. Sans ça, elle serait surement déjà partie rejoindre les siens, dans l'au delà ou ailleurs. Ca n'avait pas d'importance.
Elle devait renoncer à cette option. Comment se résoudre à l'abandonner, lui aussi? Et Jason qui attendait son retour? Et Corben qu'elle n'avait toujours pas revu depuis? Sans compter Xyria qui comptait bien la retrouver un jour? Les minutes passaient et Charlie trouvait de plus en plus de raison de ne pas sauter.

Tous les deux s'étaient retrouvés après des années d'absence inexpliquée et Adam ne semblait pas prêt à la lâcher désormais. Lorsqu'elle entendis le son de sa voix, elle se tourna vers lui et tenta de lui offrir un de ces sourires qui, avant tout ça, camouflaient si bien ses émotions. Il s'était inquiété de ne pas la retrouver dans la chambre, elle pouvait le voir à son expression, à son souffle. Il s'était hâté dans les escaliers.
Dans sa main tendue, elle retrouva son collier. Comme promis, son ami d'enfance s'en était occupé. Charlie s'en saisi, scrutant le nouveau fermoir puis le médaillon, toujours intact. Son regard retrouva de nouveau l'horizon tandis qu'elle attachait le bijou autour de son cou en se promettant que jamais plus elle ne s'en séparerait et que plus jamais elle ne repenserait à ce qui l'avait attirée ici, au bord du rempart. Se retournant vers Adam, elle lui adressa un second sourire, plus stable cette fois ci.

"Merci."

La symbolique était forte pour la jeune femme. C'était un moment particulier pour elle qui signifiait beaucoup. Étrangement, sa présence ici, ses idées noires et finalement, le retour d'Adam... tout ça avait calmé quelque peu ses tourments.
Face à elle, le paysage était splendide et verdoyant. De quoi lui faire oublier ce que ces forêts abritaient et toutes les choses qu'elle avait du y affronter.

"Tu sais, quand je suis arrivée ici, j'étais persuadée que je retrouverais ma famille. Je m'en étais convaincue durant tout ce temps, au point que c'était devenu une évidence. Quand j'ai apprit qu'ils n'étaient pas là, tout s'est effondré comme un château de cartes... J'en serais morte de chagrin si tu n'avais pas été là."

Evidemment, Charlie attrapa la main qu'Adam lui tendait. Là encore, ce geste était fort, symbolique et plus que jamais, elle en avait besoin. Ainsi, elle se sentait moins seule en ce monde. Tous les deux étaient désormais réunis, sur cette île, dans la peine et le souvenir de cette vie qu'ils avaient laissé derrière malgré eux.

Les pieds de nouveau sur terre, Charlie n'avait de cesse de contempler le paysage. De nouveau, elle se retrouva accoudée sur le créneau où elle était assise un peu plus tôt. Elle sentait qu'Adam était plus rassuré de cette façon, et qu'il s'était surement imaginé le pire en la voyant balancer ses pieds au dessus du vide. D'ailleurs, il n'avait pas eu tout à fait tort, mais ça, elle le gardait pour elle.

"Non, puisque je t'ai retrouvé, toi."

Un silence passa entre les deux jeunes gens.

"J'aimerais me rendre utile."

Elle avait dit ça simplement, en repensant à tout ce qu'il avait fait pour elle, à la gentillesse de Wymer, au fait qu'on la laissait vivre ici sans poser de questions, qu'on acceptait sa présence.
Si elle pouvait faire quoi que ce soit pour aider cette communauté, même une tâche ingrate, elle se sentirais un peu moins redevable. Et puis, au delà de ça, ça lui permettrait de s'aérer un peu, de se focaliser sur autre chose que la perte dramatique qu'elle venait de subir. Oui, ça ne pourrait lui faire que du bien. Au moins en attendant leur rencontre avec les pillards.

Comme précédemment, avec Wymer, Charlotte n'insista pas. Elle n'avait ni l'envie ni la force pour argumenter. Son ami avait raison, encore une fois, mais il avait oublié un détail. Adam ne se souvenait peut-être pas de cette facette là de sa personnalité, mais risquait de s'en apercevoir tôt au tard : Charlie était obstinée. Une vraie mule pour qui demander l'autorisation avant de faire quelque chose restait une exception. Dès le lendemain, la brune trouverait quelque chose à faire, n'importe quoi pourvu que ça l'empêche de penser. Car là aussi, il n'y aurait pas de rétablissement si elle continuait à se morfondre dans son coin sans rien faire. L'australienne ne savait pas quel était le rôle de son ami dans cette communauté, mais il devrait bien reprendre ses activités à un moment ou un autre... et rester seule n'était clairement pas une bonne idée, ils l'avaient tous les deux constaté. Une seconde fois, Charlie laissa le silence prendre place. Sa tête lui faisait encore mal et elle savait que la nuit ne lui laisserait pas de répit, alors autant en profiter tant qu'elle le pouvait. Plusieurs minutes passèrent sans qu'elle ne bouge d'un cil, puis elle s'exprima dans un murmure, pour ne pas brusquer son crâne turbulent.

"Il est gentil... Wymer..."

Là aussi, elle avait longuement réfléchis. Certes, elle détestait l'idée de leur piquer leur lit, mais à vrai dire, dormir elle même à la belle étoile était une mauvaise idée. Elle savait ses nuits particulièrement agitées, mais aussi et surtout bruyantes. Pas sûr que ça plaise au monde s'il se faisait réveiller par une folle hurlant depuis la cour du château. Entre ces quatre murs au moins, elle ne dérangeait personne, ou presque. Alors elle avait abandonné l'idée de se battre avec Adam pour qu'ils retrouvent leur habitation. Pour le moment du moins. Car à la moindre occasion qui se présenterait à elle, Charlie sauterait dessus. Comment s'y prendre? Elle n'en avait pas la moindre idée. Mais ça finirait bien par venir. Et puis Wymer lui avait parlé de lui en dénicher une pour elle, pour son intimité avait-il dit, comme si cela faisait partie de ses réclamations. Là encore, les dettes s'accumulaient et en attendant leur départ pour la Taverne, elle ne comptait pas chômer.

Adam semblait étonner qu'elle soit tombée sur Wymer. Pourtant, elle dormait chez eux et il était plus que probable qu'ils finissent par se croiser. C'était comme si l'idée ne lui plaisait pas, comme s'il aurait préféré qu'il garde ses distances. S'étaient-il mis d'accord à ce sujet? Elle se souvint de la surprise de Wymer lorsqu'il l'avait découverte seule dans la pièce. Lui même ne s'y était pas attendu, pensant qu'Adam ne la lâchait pas d'une semelle et qu'elle se trouvait forcement avec lui. Mais pourquoi ne voulait-il pas qu'ils se rencontre? Wymer avait pourtant été très sympathique et compatissant avec elle... De quoi intriguer Charlie.

Apparemment, Wymer n'était pas si gentil qu'il en avait l'air. Rustre? Oui, c'était écrit sur son front. Pourtant, il avait semblé faire des efforts avec elle, bien que le résultat de leur petite conversation n'ai pas été franchement joyeux. Mais malheureusement, Wymer ne pouvait rien contre la déprime de Charlie qui, pour un oui ou pour un non, inondait ses yeux bruns. La pudeur l'avait fait fuir, le vieil homme n'en était pas la cause directe.

"Hm... J'ai cru comprendre que vous étiez proches, tous les deux."

Assez pour qu'Adam le bassine avec son ancienne vie, comme le lui avait si bien dit Wymer. Assez pour qu'ils partagent le même appartement et assez pour que Wymer s'approche d'elle, apparemment, même si Adam n'en semblait pas vraiment ravi.

"Raconte moi ta vie, ici."

Son ami semblait heureux, dans ce château. Ou en tout cas, il y avait sa place. Comme elle, il était arrivée sans rien et avait du bâtir une nouvelle vie, se trouver un rôle, une nouvelle famille. S'il avait pu s'en sortir, peut-être qu'elle aussi avait des chances de construire quelque chose de beau.

Toujours accoudée au créneau, Charlie tourna son visage vers Adam lorsqu'il entama son récit. Son regard semblait perdu devant lui, comme si à mesure qu'il expliquait sa nouvelle vie et comment celle-ci s'était construite, il voyait des scènes marquantes défiler devant lui.

Il était clair que son entrée en matière n'avait pas été des plus douces. C'était le moins que l'on puisse dire d'ailleurs. Son malheur avait été bien plus brutale que le sien et Adam avait du vivre avec des images atroces bien réelles, contrairement à celles qui hantaient la brune. Néanmoins, dans cet enfer, il s'était trouvé ce père aimant et présent qu'il n'avait jamais eu. Etait-ce un coup du destin? Pouvait-on considérer qu'il avait eu de la chance? Et quant à leur retrouvailles, qu'en penser? La jeune femme avait toujours ce sentiment, cette impression que la cruauté de ce fameux destin n'avait pas de limite. Qu'il lui avait rendu Adam seulement pour s'assurer qu'elle n'aurait d'autre choix que de mener sa vie tant bien que mal, en n'ayant d'autre choix que de supporter cette infinie souffrance.

Mais il y avait de l'espoir pour Charlotte. C'est ce qu'elle reteint de leur conversation. Adam n'avait pas tout perdu en arrivant ici. Il avait gagné Wymer, et une vie qui lui plaisait finalement. Il avait finit par se faire une place dans ce monde, trouver un sens à sa vie.
Alors peut-être qu'un jour, elle aussi aurait cette chance. Peut-être qu'un jour, elle ne verrait plus la présence d'Adam à ses côtés comme cette bouée qu'on lui avait imposée, mais bien comme une vrai bonheur à part entière. Bien entendu, Charlie était heureuse de l'avoir près d'elle. Cette rencontre incroyable l'avait sauvée, elle en était consciente. Et au fond de son coeur, Adam avait regagné cette place qu'il n'avait jamais vraiment quittée dont émanait une chaleur bienfaisante. Mais avec toutes ses peines encore vives, elle avait du mal à voir les choses telles qu'elles étaient réellement et tout tournait vite au négatif. D'ailleurs, c'était tout nouveau pour elle qui tendait à toujours voir le bon côté des choses, mais au vu circonstances, il l'inverse aurait été impossible pour la plupart.

Ces paroles, la jeune femme les grava profondément dans son esprit. Cette conversation était importante pour elle et elle savait qu'elle finirait par raisonner au bon moment, qu'elle la sortirait de ses pulsions macabres quand ces dernières repointeraient le bout de leur nerf crochu.
Lorsqu'Adam eu terminé, Charlotte regarda une dernière fois l'horizon.

"Je suis heureuse pour toi."

Le soleil se faisait plus lumineux et dans quelques heures, il serait si agressif qu'il lui serait impossible d'y planter ses yeux. Enfin, elle lui tourna le dos, remisant le souvenir de cet instant dans un coin de sa tête, puis s'adressa à Adam avec ce sourire, faible mais bien présent, tout en observant des enfants qui jouaient en contrebas, dans la cour.

"J'aimerais que ça m'arrive aussi."

Leurs rires alimentèrent le sourire de l'australienne. Sa main vint se poser sur son cou, caressant du bout des doigts son médaillon.
L'espoir fait vivre, comme on dit. Et ça n'était que plus vrai pour Charlie.

Il lui promettait de l'y aidait, et Charlie n'en doutait pas un instant. Jusqu'alors, il avait été présent, s'était montré d'un soutient précieux, un pilier important dans la vie catastrophique de l'australienne.
Les deux jeunes gens observaient la joyeuse troupe jouer dans la cour, déjà prête à profiter de cette journée qui s'annonçait radieuse. Cette insouciance qui les caractérisait, Charlie l'enviait. Elle aurait tellement aimé revivre son enfance. Pouvoir tout effacer et retourner à cet âge où tout semblait si beau, où tout lui restait encore à découvrir à apprendre. Où toutes les joies étaient grandioses, et les petites peines bien vite oubliées. Où sa famille était présente, et Adam aussi.

"Oui." dit-elle sans quitter les enfants des yeux, comme si elle puisait dans cette scène la force nécessaire à sa réponse. Sous les rires enfantin, le château se réveillait enfin et la cour reprenait doucement vie, accueillant d'autres enfants ravis de se retrouver, mais aussi des travailleurs prêts à affronter la journée. Oui, Charlie avait envie de reprendre le cours de sa vie, elle aussi. Qu'enfin, la nuit trouve sa fin et que le soleil veuille bien illuminer un peu son âme, réchauffer doucement ses entrailles et balayer les larmes qui ne tarissaient pas.

La jeune femme se rapprocha de son ami et posa sa tête contre son épaule, prenant appui sur le mur à côté de lui. Il était temps de réaliser sa chance, et de la prendre.

En s'accordant ce moment de répit, Charlie senti la fatigue tenter de clore ses yeux. La nuit qu'elle avait passée n'avait pas suffit à la reposer. Alors elle se détacha de l'épaule d'Adam et prit le chemin de la chambre, non sans adresser l'esquisse d'un sourire à son ami.

Arrivée dans la cour, la jeune femme passa près des enfants qui chahutaient joyeusement. L'un d'eux la regarda passer d'un air intrigué et se tourna vers son camarade, tout aussi incrédule. "C'est qui?" entendit Charlie dans son dos. Alors qu'elle s'éloignait, leur conversation ne fut plus qu'un murmure dans son dos.
Tôt ou tard, Charlie savait qu'elle devrait se présenter à la personne en charge de cette communauté.

La chambre était telle qu'elle l'avait laissée, silencieuse et dans l'obscurité. Refermant la porte derrière elle, Charlotte ne prit pas le temps d'ôter ses vêtements, ni même de se glisser sous les draps rêches. Elle s'allongea simplement sur le matelas, recroquevillée, et s'endormit aussitôt.